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29 mai 2015 5 29 /05 /mai /2015 14:37
  1. Contexte :

    Durant son noviciat et son ordination à Montségur, Arnaud Déjean, gardien de troupeaux et ouvrier agricole, connut une nouvelle visite (il y en eut entre 1232-1234 comme l’attestent dans leurs dépositions devant le tribunal de l’inquisition plusieurs requis comme Arnaud-Roger de Mirepoix le 22 avril 1244 : « … un messager vint me dire que le bayle du comte de Toulouse avait arraché du castrum de Montségur quatre hérétiques… » Des officiers comtaux accompagnés d’hommes d’armes qui se solda par l’arrestation, sans opposition aucune, de Jean Cambiaire, fils majeur de Guilhabert de Castres, et de trois autres parfaits. Bérenger de Lavelanet explique devant le tribunal de l’inquisition le 21 avril 1244 : «… Massip vint à Montségur avec de nombreux sergents, des chevaliers, des arbalétriers. Il arrêta le Fils Jean Cambiaire et trois autres hérétiques, sans que personne du castrum l’en empêchât. Il emmena avec lui les prisonniers, les livra au comte de Toulouse, et ils furent brûlés… ». Cette descente de police était conforme à ce que prescrivait l’inquisition séculière et à la lettre de son propre édit du 20 avril 1233 (en fait, cet écrit fut rédigé par l’évêque de Toulouse Raymond du Fauga et Gilles de Flagy, un chevalier désigné par le roi), en réponse de la bulle papale où Grégoire IX chargeait les Frères Prêcheurs de poursuivre les hérétiques.

     Raymond VII promulguait solennellement en la cathédrale Saint-Etienne de Toulouse un édit dont la sévérité tranchait profondément avec ce qu’avait été jusques là son attitude personnelle. La force de cet édit amplifiait ce qui était contenu dans le Traité de Paris et une explicitation qui tient compte des conciles de Toulouse de novembre 1229, de Béziers de mars 1232. Gilles de Flagy porta copie de l’édit au roi de France. Le légat en envoya une pour confirmation. Le sénéchal de Carcassonne le fit publier dans toute sa sénéchaussée et en ordonna la publication. Sous peine de se condamner lui-même, Raimond VII ne pouvait plus se soustraire à l’obligation de conduire, dans ses propres Etats, l’inquisition séculière.

    Cette visite se conclut par des négociations entre Massip et les dignitaires de la communauté religieuse : Jean Cambiaire  et les trois autres parfaits se sacrifièrent avec l’accord de tous. Ce fut le prix de la survie de Montségur. Si les trois parfaits furent brûlés à Toulouse, Jean Cambiaire fut libéré ou s’évada avec la complicité plus ou moins tacite de ses gardes puisque treize témoignages nous le disent au Mas-Saintes-Puelles, à Fanjeaux puis à Avignonet en 1237.

    En 1241, Montségur est bien assiégé par une troupe du comte de Toulouse mais sans conviction alors qu’à Montargis  le 14 mars 1241, devant le roi, Raimond VII déclara : « …Nous ferons détruire le château de Montségur sitôt que nous pourrons en être le maître. Nous emploierons la force et tous les moyens, en toute bonne foi pour nous en rendre maître aussitôt que possible et de même nous effectuerons cette démolition au vu et au su de ceux que le seigneur roi aurait députés à cette fin… » ; Or, cette troupe est conduite par Jourdain de Lanta, fils d’un parfait mort sur le bûcher, et Pons de Villeneuve, un bienfaiteur de Montségur. Arnaud-Roger de Mirepoix devant le tribunal le 22 avril 1244 déclara : « … Alors que le comte de Toulouse tenait assiégé le castrum de Montségur, Pierre-Roger de Mirepoix y introduisit Raymond Maffre de Saint-Michel, qui était de l’armée du comte. Alors avec des chandelles allumées, Pierre-Roger conduisit l’arbalétrier Raymond Maffre à la maison de l’hérétique Bertrand Marty. Je n’y suis cependant pas rentré avec eux et je ne les ai pas vus adorer les hérétiques mais je crois bien qu’ils l’ont fait… ». Huit jours après le premier interrogatoire d’Arnaud-Roger de Mirepoix, son oncle Raymond de Péreille confirme les aveux et ajoute : «  Arnaud du Villar de Laval vint au castrum de Montségur. Il y resta bien quatre jours et prépara les arbalètes contre ceux qui tenaient Montségur assiégé pour le comte de Toulouse… ».

    La communauté de Montségur prit peur et, bien que l’armée du comte ait levé le siège trois jours après son arrivée, se prépara à assurer sa défense. Pierre-Roger envoya chercher auprès d’Arnaud de Miglos, bayle du comte de Foix, du matériel pour une catapulte ; il affirme le 15 décembre 1246 devant le tribunal : «… J’ai fait parvenir à Pierre-Roer de Mirepoix douze cordes et deux frondes pour servir à la pierrière et une arbalète… »

    La communauté religieuse prit aussi quelques précautions et, de Montségur,  huit sergents et chevaliers escortèrent jusqu’à Queille pour confier à un passeur, Aranud de Lascure, huit parfaites et India, parente du « faidit » Guillaume de Lahille comme le confirme le sergent Bernard de Joucou devant le tribunal le 3 mai 1244 : «… Alors que le comte de Toulouse tenait assiégé le castrum de Montségur, moi-même, Guillaume-Raymond de Laroque, Pons Sicre, Magalone de Chalabre, Brazillac de Cailhavel, Raymond Minier de Montferrier, Arnaud Domergue et Raymond Monic, nous fîmes sortir de Montségur, une nuit, l’hérétique India et sept autres femmes hérétiques. Nous les accompagnâmes jusqu’au castrum de Queille et les fîmes entrer chez Arnaud de Lescure… Les laissant là, nous revînmes sur nos pas… ».

2. Déposition :

J’ai ajouté entre parenthèses et en italique des informations complémentaires. L’an du Seigneur 1246, huit des calendes de mars (24 février 1247), Arnaud Déjean, témoin, ayant prêté serment dit : Un jour où je gardais mes bœufs dans le bois de Peigeret, j’y trouvai une cabane, et dans cette cabane les parfaits Pons de Sagonard (dans les années 1225, il prêchait en effet dans la région de Lanta avec le diacre Bernard de Lamothe puis Guillaume Richard), Jean Sabatier (il prêchait dans les environs de Montgiscard dès les années 1235) et leurs compagnons. Ils me demandèrent alors de ne le dire à personne, et me donnèrent du pain. Je mangeai et bus avec eux. Puis je partis, mais je ne les adorai pas alors, et ne vis pas qu’on les adore. Pour l’époque, il y a six ans environ. Item, j’ai vu deux ou trois fois ces parfaits dans ce bois et je vis avec eux Guillaume Garnier de Lanta. Et je les adorai plusieurs fois. Item, ces parfaits me demandèrent plusieurs fois de me faire parfait, ce que je fis à ma demande. Je fus reçu, hérétiqué et revêtu pendant quatre ans et je partis avec les parfaits. C’est le parfait Guillaume Richard (diacre de Saint-Paul de Joux, il assurait son ministère depuis 1229 puis il vivait dans une grotte de Caragoudes vers 1243). Et je restai dans cette cabane avec ces parfaits huit jours. Puis le parfait Guillaume Richard m’amena à Montségur et je restai là dans la maison du parfait Guillaume de Lanta deux ans (il fut confié à un clerc pour son noviciat où il apprit les prières et les abstinences pour ensuite recevoir le consolament d’ordination). Je vis là, dans la maison de Guillaume Richard, Pierre-Roger de Mirepoix, coseigneur de Montségur, adorer plusieurs fois le parfait Guilhabert de Castres, et je vis là plusieurs hommes que je ne connaissais pas adorer les parfaits. Pour l’époque, il y a six ans environ… La fin de sa déposition s’arrête malheureusement là comme une quinzaine d’autres parmi les soixante-douze qui constituent le dossier de Montségur.

3. Commentaires :

Les faits concernent les années 1240-1242. Dans sa déposition, il nomme : l’évêque Guilhabert de Castres, : un diacre, Guillaume Richard, : trois parfaits, Pons de Sagornac, Jean Sabatier et leurs « soci » ou compagnons et Guillaume de Lanta, : Pierre-Roger de Mirepoix, coseigneur de Montségur. Il parle d’une nombreuse assistance d’hommes qu’il ne connaissait pas. L’interrogatoire suit un ordre immuable : le prévenu doit dire s’il a vu des parfaits et qui les a vus avec lui. Suivent les aveux d’assistance à la prédication et d’adoration. Ceci est capital pour les inquisiteurs car elles attestent la qualité du « croyant » et donc de la sentence appropriée. La description des rites (adoration, bénédiction du pain, consolament…) sont exactes mais condensées à de formulaires du notaire («… comme il a été dit »). La reproduction in extenso du rite est due à des cas de variante ou d’importance décisive pour éclairer le tribunal ; dans ce cas des questions sont posées au prévenu afin d’obtenir des détails significatifs. Dès 1229, l’Eglise cathare entre définitivement dans la clandestinité et durant les quinze premières années (1229 à 1244-1245) cette clandestinité nous est connue par de nombreux documents qui nous montrent son organisation ; la hiérarchie est maintenue au sein de l’Eglise qui assume sa fonction de prédication et de distribution du consolament aux mourants ou à ceux qui, croyants, demandent à être reçus et revêtus. Cette errance clandestine est favorisée par des réseaux de complicité au sein de la société des croyants ou des sympathisants à la cause cathare. Le diacre Guillaume Richard rejoignit la communauté cathare en Lombardie. Les autres franchirent les Pyrénées et s’établirent dans l’Aragon où vivaient des familles cathares.

4. BIBLIOGRAPHIE :

DUVERNOY (J.) : Le Catharisme, 2 volumes, Privat, 1976 et 1979.

DUVERNOY (J.) : Le dossier de Montségur, Le Pérégrinateur, 1998.

ROQUEBERT (M.) : L’épopée cathare, 5 volumes, Perrin, 1202 à 1298.

ROQUEBERT (M.) : Histoire des Cathares, Perrin, 2002.

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18 janvier 2015 7 18 /01 /janvier /2015 15:17

    «  L’an et le jour que dessus (22 août 1247), Frère Déodat de Rodez de l’Ordre des Frères Mineurs (franciscain), requis de dire la vérité pleine et entière sur l’hérésie, témoin ayant prêté serment, dit qu’il a vu et entendu Pierre Garcias du Bourguet de Toulouse parler à Frère Guillaume Garcias de l’Ordre des frères Mineurs dans les écoles de ces frères à Toulouse…

    …. Ce Pierre dit aussi, au sujet des miracles, qu’aucun miracle qui peut être vu avec les yeux n’est quelque chose et que Saint François pas plus qu’un autre, n’a fait de miracle. Que Dieu n’a pas voulu la justice, que quelqu’un soit condamné à mort. De ce fait il vitupérait contre un Frère Prédicateur de la Croix, qui avait croisé à Auvillar bien sept cents personnes, disant qu’il n’était pas bien que des croisés aillent contre Frédéric (l’empereur), contre les Sarrasins ou contre un château comme Montségur quand il était contre l’Eglise, ou contre un quelconque endroit où il pourrait y avoir mort d’homme.

    … Il a déposé cela à Toulouse par-devant les Frères Bernard et Jean, inquisiteurs. Témoins susdits. Frère Guiraud, Gardien O. M. de Toulouse, Frère Etienne de Lunel du même Ordre, et Pierre Aribert, notaire public qui l’a écrit ».

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PIERRE GARCIAS, CROYANT CATHARE INSTRUIT

    Agent de changes, Pierre Garcias vivait dans le ruelle « Bourguet ou  Bourg neuf », ruelle, qui jusqu’au XVIIIème, séparait une partie de la rue Peyrolières de l’église de Notre-Dame-la- Daurade et le « neuf » signale la reconstruction de ce quartier qui souffrit d’un grave incendie.

    Son père était un croyant cathare, sa mère avait choisi la foi vaudoise. Par son négoce,  il était lié  avec plusieurs membres de la famille des Rouaix profondément engagés  dans l’hérésie et autres familles bourgeoises et commerçantes dont les sympathies pour la cause cathare étaient fortes. Il avait, par ailleurs, fréquenté plusieurs parfaits et parfaites. Enfin, il avait épousé Aimée Causit, branche des Causit du Mas-Saintes-Puelles dont Bernard de Caux connaissait les attaches avec le catharisme : un Bernard Causit était en prison à Toulouse en 1245. En plus, Pierre Garcias avait déjà eu affaire à l’inquisition puisqu’il s’était vu infliger une pénitence pour hérésie avant son procès de 1247.

    Pendant le Carême de 1247 puis à la veille de Pâques, juste avant son élection au consulat de Toulouse, Pierre Garcias se rendit au couvent des franciscains situé depuis 1222 au Bourg Saint-Sernin (rues Deville, entre les actuelles des Lois et du Collège de Foix) où ils avaient fondé une école ; c’est là que Pierre se rend, par deux fois, pour s’entretenir avec un Frère, Guillaume Gracias, peut-être un de ses parents. Mais à chaque fois d’autres Frères purent, du haut d’une galerie, plonger leur regard sur la salle et tout entendre et voir.

    Le franciscain posait des questions à son visiteur et les réponses de celui-ci étaient une profession de foi hérétique affichée sans ambages, qui se référaient aux textes fondateurs du catharisme, à des commentaires sur l’actualité et sur un passé récent avec quelques blasphèmes et grossièretés à l’égard de l’Eglise catholique. L’ordre des Frères Mineurs commence à participer à des actions inquisitoriales dès le début de 1235.

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   Le scandale fut si grand que la plainte déposée fut aussitôt saisie par Bernard de Caux et Jean de Saint-Pierre. Ils citèrent Pierre Garcias qui ne se présenta pas. A la fin d’août, ils  l’auditionnèrent ainsi que quatre franciscains qui furent témoins des faits puis un cinquième en décembre pour obtenir des précisions. Ils interrogèrent aussi le curé de la Daurade et un notable de la ville, Guillaume de Montouty (il sera témoin en janvier 1248 d’une déclaration de Raimond VII au sujet des élections consulaires) ; or, un autre Montouty, Raymond, consul en 1220-1221, était devenu parfait et ordonné diacre de Toulouse à Montségur en 1232 ; il était donc, selon les témoins du procès, le responsable de la formation religieuse de Pierre Garcias.

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    Les témoignages des Frères sur les propos qu’il avait tenus coïncident tant dans les contenus que sur des détails pittoresques et prouvent qu’ils ne sont pas dictés ou forcés par le tribunal. Ils nous permettent de saisir sur le vif ce que retenait un croyant soigneusement instruit tant sur les textes fondamentaux que sur les pratiques qui en découlent.

    La théologie des deux principes apparaît au tout début de l’Evangile de Jean dont Garcias a une claire connaissance et distingue que « Sans le Verbe rien n’a été créé » mais « Sans Lui a été créé le Néant ». Il insiste sur l’existence même de l’homme et de sa nature qui est corruptible et pécheur.

    Guillaume lui demande comment il comprend le passage de l’Epître aux Colossiens de l’apôtre Paul qui dit que « en Lui a été créé tout ce qui set dans les cieux et sur la terre, les choses visibles et invisibles ». Pierre répond qu’il faut entendre par ce «  tout » les seules réalités « visibles aux yeux du cœur et invisibles aux yeux de la chair » et qu’il tient toutes ces connaissances de Bernard Lamothe, fils majeur de Guilhabert de Castres.

    De toute évidence, Pierre Gracias a assimilé l’exégèse cathare du début de l’évangile de Jean et la théologie de la mauvaise création pour laquelle le monde est néant et la théorie des deux universalités ; dans les Ecritures, l’assertion « Par Lui tout a été créé », « tout » désigne à la fois la bonne création éternelle, incorruptible et invisible et tantôt la mauvaise, la transitoire, corruptible et visible comme dans l’expression « Tout est vanité ». Il reprend dans ces pensées, les mêmes termes que « Le Livre des deux principes ». 

    « Si je tenais ce Dieu qui a créé tant d’âmes pour en sauver si peu et damner toutes les autres, je le mettrais en pièces avec mes ongles et mes dents, je lui cracherais à la figure… ». Puis, il va aborder les  thèmes essentiels de la doctrine catholique. 

    Rejet du Dieu de l’Ancien Testament : « La loi de Moïse n’est qu’apparence et vanité… ».

    Rejet de l’incarnation du Christ qui n’est qu’apparence selon la doctrine docétiste.

    Rejet de la Passion telle qu’elle est décrite et vécue par les catholiques ; « J’ai chez moi le récit de la Passion en langue romane telle qu’elle s’est réellement passée ».

    Rejet du symbole de la Croix celle où l’on cloua le Christ ; « Celui qui porte la croix les jours de procession devrait dire : « Voici du bois » Mais aussi celle que cousent sur leurs vêtements les croisés : « Ce n’est rien d’autre qu’un morceau de tissu sur l’épaule ».

    Rejet de la messe et du sacrifice eucharistique : « Avant Saint-Sylvestre (314-335, donation de l’empereur Constantin au pape Sylvestre), la messe n’existait pas et l’Eglise ne possédait rien. D’ailleurs dans vingt ans, il n’y aura plus d’Eglise ».

    Et Pierre Gracias tourne en dérision la liturgie catholique : « Ceux qui hurlent dans l’église en chantant d’une façon inintelligible (chants grégoriens et en latin) se moquent du pauvre peuple (dont la langue est l’occitan) ».

    Rejet de la Résurrection : « La chair ne ressuscitera pas plus que le montant de cette porte » dit-il en frappant de la main ledit montant.

    Rejet du mariage et de la sexualité : « C’est une vraie puterie. Nul ne peut être sauvé s’il a des rapports avec une femme même dans le mariage avec la sienne propre. Il n’y a de mariage qu’entre l’âme et Dieu. L’Eglise romaine est une maquerelle qui verse le poison à ceux qui croient en elle ».  Il révèle à Guillaume que, fidèle à sa foi, il n’a pas touché sa femme depuis deux ans. D’ailleurs, « l’arbre défendu à nos premiers parents n’était rien d’autre que le plaisir charnel ». Ce détail quant à sa chasteté nous permet de déduire que Pierre Gracias est sur le chemin du noviciat qui le conduit vers « la perfection » des parfaits puisque l’Eglise cathare n’exigeait pas l’abstinence sexuelle des simples croyants ou des fidèles.

    Quant au consolament, passage obligé du salut, Pierre Gracias n’aborde qu’indirectement l’unique sacrement cathare lorsqu’il évoque « la pénitence complète » dont l’absence entraîne la réincarnation : « Nul ne sera sauvé s’il n’a pas fait complètement pénitence avant sa mort. Un esprit qui n’a pas fait pénitence dans un corps passera, pour être sauvé, dans un autre corps jusqu’à pénitence complète ».

    Il revient sur la question de la justice, de la peine de mort et de la violence en général : « La justice ne peut condamner à mort. Un official qui jugerait quelqu’un hérétique et le ferait mourir en tant que tel serait un assassin. Dieu n’a pas voulu une justice qui envoie à la mort. Il n’est pas bien de se croiser contre Frédéric (l’empereur), contre les Sarrasins ou contre un castrum comme Montségur quand il s’opposait à l’Eglise ou contre quelque autre lieu où l’on puisse trouver la mort. Les prédicateurs de la Croisade sont des criminels… » Et il cite un Frère qui, à Auvillar, avait croisé quelque sept cents personnes apparemment pour qu’elles participent au siège de Montségur en venant soutenir l’armée royale. D’ailleurs, un autre franciscain appelé comme témoin dans ce procès déclare : «  Pierre Gracias dit que Dieu ne voulait pas d’une justice qui condamnait les gens à la mort. Il vitupéra à ce propos un frère prédicateur de la Croisade qui avait croisé au moins sept cents personnes à Auvillar… ». D’autres moines franciscains prêchèrent pour la Croisade afin de grossir les rangs de l’armée sous le commandement du sénéchal de Carcassonne, Hugues des Arcis dans le bas Languedoc, dans le Cabardés tandis qu’à Albi ce fut l’évêque, Durand de Beaucaire qui réussit à lever une armée qui se mit en marche avec lui ; son effectif varie, selon les témoins, de cent cinquante à quatre cents hommes. Enfin participent aussi quelques seigneurs occitans ralliés à la cause de l’Eglise et du roi : Arnaud d’Olonzac de Caunes, Raymond d’Alban, Hugues de Durfort et Raymond de Capendu. Le chef spirituel de l’expédition contre Montségur est Pierre Amiel, archevêque de Narbonne.

    Pierre Gracias à la question de son interlocuteur sur la certitude et le force de sa foi dans ce qu’il a  exprimé répond haut et fort : «  Par ma foi ! C’est bien ce que je crois et je ne croirais en rien quiconque parlerait autrement ! C’est dans cette foi là que je veux vivre et mourir… ».

     Le 2 février 1248, Pierre Gracias fur publiquement condamné par contumace en la basilique Saint-Sernin : «  Vu ce que nous avons trouvé par enquête et grâce à de nombreux témoins contre Pierre Gracias du Bourguet-Nau, citoyen de Toulouse, nous le suspectons d’hérésie.

    Bien que nous lui ayons communiqué par écrit ce que nous avons trouvé contre lui, copie lui en ayant été donnée pour qu’il se défende, il ne veut pas se défendre devant nous, bien qu’il ait été cité pour cela et longtemps attendu. Aussi le déclarons suspect d’hérésie et contumax et le frappons d’excommunication ».

    Pas plus qu’il ne répondit à sa citation d’août 1247, il n’alla pas écouter la lecture de sa condamnation. Il est vraisemblable qu’il quitta Toulouse puisque l’on confisqua tout ou partie de ses biens et que Alphonse de Poitiers, fils de Louis VIII et de Blanche de Castille,  devenu comte de Toulouse par son mariage avec Jeanne de Toulouse, fille de Raimond VII  et de Sancie d’Aragon, donna à l’inquisition cent livres qui provenaient du produit de leur saisie (1256).

    En 1268, ses héritiers déposèrent une requête en restitution. En 1279, Pierre Gracias à titre posthume fut inclus dans le diplôme d’amnistie générale délivré par le roi Philippe le Hardi.

IMGP1135 

BIBLIOGRAPHIE :

DUVERNOY (J.) : Le dossier de Montségur, Le Pérégrinateur, 1998.

DUVERNOY (J.) : L’Histoire des Cathares, 2 tomes, Privat, 1976-2004.

NELLI (R.) : Ecritures cathares, nouvelle édition revue par BRENON (A.), Ed. du Rocher, 1995.

ROCACHER (J.) : Découvrir Toulouse, tome 3, Privat, 1987.

ROQUEBERT (M.) : L’épopée cathare, 5 tomes, Perrin, 2006-2007.

ROQUEBERT (M.) : Histoire des cathares », Perrin, 2002.

HERESIS : Centre d’Etudes Cathares, Carcassonne.

CAHIERS DE FANJEAUX : n° 3, n° 4,  n° 6, n° 10, n° 20, Privat.

 

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1 décembre 2014 1 01 /12 /décembre /2014 17:49

Le 16 mai 1216 Raimond VI et son fils « Ramonet » entraient dans Avignon (lire le chapitre XVII – le jeune comte Raimond en Provence – dans La Chanson de la Croisade Albigeoise) en liesse où des milliers d’hommes et de femmes s’empressaient au-devant du cortège en criant : « Vivat ! Gloire à ceux de Toulouse… Dieu nous aime ! Il vient à notre secours ! ».

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 Le lendemain, la Provence se déclarait en guerre contre la croisade royale alors que le Concile de Latran (11-30 novembre 1215) qui avait prononcé la déchéance pour le comte de Toulouse de ses titres et de ses biens entérinait le triomphe de Simon de Montfort.

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Revenu à Marseille, Raimond VI rejoint Salon où, autour de Guy de Cavaillon (troubadour et familier de la cour comtale de Toulouse), s’étaient rassemblés un grand nombre de ses vassaux du marquisat. De là, avec ces nouveaux renforts, il revient sur Avignon. L’enjeu de ce soulèvement est clairement exposé dans le dialogue (même ouvrage, même chapitre) entre le poète et le comte :

« Voici venu le temps de nous rendre l’honneur, sang de nos cœurs que Simon de Montfort et les prédication de l’Eglise de Rome ont accablé de honte et foulé sous leurs bottes. Enfant, il vous revient de de lui réchauffer l’âme et de lui rendre vigueur et, par lui ranimé, de nous redonner vie… » « Guy vous me touchez fort. Vous me plantez au cœur grande joie…Si Dieu me garde en vie parmi mes compagnons, si, comme je l’espère, Il rend aux miens Toulouse, nul ne salira plus notre honneur, je le jure… Ma cause est exaltante et si mes ennemis se font tigres griffus, je me ferai lion ! ».

Dans une « tenson », Guy de Cavaillon dialogue avec le jeune Raimond (futur Raimond VII) :

« Seigneur comte, lui demanda Guy de Cavaillon, je voudrai savoir

Ce que vous préféreriez :

Que le pape vous rende

Votre terre par affection,

Ou que par chevalerie

Vous la conquériez avec honneur

Endurant froidure et chaleur.

A quoi Raimond répond :

Par Dieu ! Guy, j’aimerais mieux

Conquérir Prix et Valeur

Que tout autre richesse

Qui me vaudrait déshonneur ».

Ainsi la «  reconquista » est une affaire d’honneur à travers la conscience que l’invasion, la défaite et la dépossession ont bouleversé les modes de vie et les valeurs occitanes pour la société toute entière. Il s’agit donc de restaurer la légitimité et effacer les humiliations violentes et mortifères dont souffrit le grand Languedoc.

Le 11 mai Raimond le jeune envoya un courrier aux consuls d’Agen pour leur ordonner de lever une armée sous le commandement du sénéchal Arnaud de Tantalon. Raimond VI quitte Avignon à la rencontre de Guillaume de Baux, prince d’Orange et  son plus vieil et puissant adversaire dans le pays, dont les domaines étaient enclavés dans ceux du marquisat toulousain. Ce dernier lui promet la neutralité qui ne durera pas et, deux ans plus tard en 1218, redevenu hostile, il sera massacré par les Avignonais.

Raimond VII reçut « Pernes, Malaucène et Beaumes et maints autres châteaux de ses vassaux où il mit garnison » raconte Guillaume de Tudèle dans « La chanson de la croisade Albigeoise » au chapitre XVII. Raimond le jeune participe au ralliement de nouvelles villes et forteresses comme Tarascon, l’Isle-sur-Sorgue, Pierrelatte, Vallebrègues et bientôt Beaucaire, Bellegarde et Redessan. Avec les villes, se joignent des notables tels Audebert de Noves, juge et chevalier en Venaissin, les Tarasconais Raimond Gaucelm et Albeta, six consuls d’Avignon dont le chevalier-troubadour Bertrand Folcon qui sera plus tard viguier de Raimond VII à Beaucaire. Viennent aussi des officiers comme Anselmet, fils du viguier de Marseille, Rostand de Pujant, Raimond de Salles. Les grands vassaux adhèrent à la cause tels Adhémar de Poitiers, comte du Valentinois et de Diois et son fils Guillaume, Dragonet de Mondragon, grand seigneur de Vaison, Bollène et Saint-Paul-les-Trois-Châteaux, Guiraud-Adhémar, seigneur de Montélimar et de la Garde avec son fils Guiraudet, Guillaume-Artaud de Die avec son fils Isoar, Ricaud, seigneur de Caromb, Pons de Saint-Just, coseigneur de Pierrelatte, Bertrand Porcelet, chevalier arlésien et vassal de l’archevêque et frère de Guillaume Porcelet dont le nom fut cité en 1209 à propos de l’assassinat de Pierre de Castelnau et de sa suite à Avignonet. Une foule de seigneurs s’adjoint tels Bernis de Muriels, vassal de l’archevêque de Vienne, Aymon de Caromb, Guigue de Gaubert, Alfan Romieu, Hugues de la Balesta, Jean de Nagor, Hugues de Laens, Datil, Raymond Bélarot, Raimond de Montauban et Pons de Mondragon. Des barons de la rive droite du Rhône, tels Eléazar d’Uzès viennent grossir les troupes ainsi que des comtes catalans de Provence comme Pierre de Lambesc, Rostand de Carbonnières et Pierre Bonace. Des « faidits » languedociens se joignent au groupe tels Guillaume de Minerve, le chevalier Arnaud Féda, ancien familier de Roger Trencavel et Pierre de Mèze qui sera récompensé plus tard de ses services par une part de la seigneurie de Loupian et qui restera longtemps dans l’entourage des comtes de Toulouse, de Comminges et de Foix. Parmi les rebelles, on compte Guillaume de Belafar dont les domaines étaient proches de Capendu et Bernard de Roquefort, futur viguier de Castelnaudary. Il  est à noter un conseiller personnel de Raimond VI, Pierre-Raymond de Rabastens qui avait assisté le comte à Rome au cours des débats du concile et un fils naturel du comte, Bertrand qui participera à la défense de Toulouse (13 septembre 1217-25 juillet 1218) à la bataille de Baziège (printemps 1219).

Face aux forces du comte de Toulouse, le parti adverse peut compter sur les prélats et le clergé provençaux qui dès 1213 avaient alerté le Saint-Siège contre Raimond VI et  Toulouse. « Evêques, moines, clercs haïssent le jeune homme (il a dix-neuf ans) » dit La Chanson. Des villes se déclarent ennemies, Nîmes, Courthézon, Saint-Gilles que présidait un vieil adversaire du comte de Toulouse, l’abbé Pons en 1215. Le frère du prince d’Orange, Hugues, seigneur des Baux, ainsi que son beau-frère Lambert de Montélimar sont totalement hostiles ainsi que Raimbaut, seigneur de Lachau, en Dauphiné et surtout le seigneur d’Alès, Raymond Pelet que La Chanson de la Croisade Albigeoise traite « de lâche et de cupide » tant il avait intrigué pour se faire attribuer le comté de Melgueil. D’autres nobles de la région se rallieront au parti des Croisés comme Jehan de Senuc, le Beaucairois Raymond de Roquemaure ainsi que deux anciens vassaux de Trencavel, Pierre Mir et Nègre de Laredorte.

Voici ce qu’écrit Pierre des Vaux-de-Cernay dans son « Histoire des Albigeois » au chapitre LXXXIII : «  Simon de Montfort, s’étant rendu près du roi Philippe-Auguste, reçut l’investiture du duché de Narbonne et du comté de Toulouse plus des fiefs relevant de la Couronne que les Croisés avaient acquis contre les hérétiques et leurs défenseurs et en assura la possession à ses descendants » ; et sur le futur Raimond VII il en parle ainsi : « contrevenant en tout aux mandats apostoliques, non à cause de sa grande jeunesse, mais plutôt par colère, méprisant en outre la notable faveur et abondante miséricorde que le souverain pontife lui avait accordée, bien qu’il en fût indigne, vint aux contrées provençales ; et, conjurant contre Dieu, les droits civils et canoniques, il occupa avec le secours des Avignonnais, des tarasconnais et des Marseillais, de l’avis et par l’aide de certains nobles de Provence, le pays que le noble comte de Montfort tenait en garde par l’ordre du seigneur pape ».

Raimond VI décide, après avoir constitué un conseil auquel il confie son fils, de se rendre auprès de ses alliés de 1213 en Catalogne- Aragon qui connaissait de graves tensions autour de la question successorale après la mort de Pierre II à Muret le 12 septembre 1213. L’infant Jacques Ier n’avait que huit ans en 1216 et son grand-oncle Sanche, régent de Provence depuis 1209, était devenu procurateur du royaume et rêvait d’en devenir le roi tout en se heurtant au camp des légitimistes. Raimond VI restera dix-huit mois et trouvera les renforts espérés pour son retour.

Le conseil provençal décide d’aller au plus vite bloquer Beaucaire qui est devenu, depuis 1215, le quartier général de l’armée croisée pour la partie orientale du pays conquis. Simon de Montfort y avait installé le sénéchal Lambert de Thury, un Bourguignon qui avait été de tous les combats depuis 1909, son neveu de Guillaume de la Motte et Rainier de Chauderon, baron fidèle dès le début de la Croisade. La garnison était composée de chevaliers et de sergents tels les trois occitans transfuges, Raymond de Roquemaure, vassal de Raimond VI, Bernard Adalbert et Pierre de Saint-Prais qui rentrera en grâce auprès de Raimond VII et qui deviendra bayle de Lavaur.

 

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11 octobre 2014 6 11 /10 /octobre /2014 15:20

FORMATION :

      Né vers 1170 à Caleruega (Vieille-Castille) ; son père Félix de Guzman est gouverneur de la cité et sa mère Jeanne d’Aza appartient à une ancienne famille noble. Son éducation fut confiée à l’un de ses oncles, qui était archiprêtre. Puis il entra à Palencia pour apprendre les arts libéraux et fit des études de théologie. Ses biographes le décrivent sérieux, assez replié sur lui-même, rompu aux exercices de l’ascèse mais capable aussi de grands élans de générosité spontanée et de souriante bonté. Il conjugue à la fois la solitude mystique et le désir d’agir, la méditation et la nécessité d’être ouvert aux autres.

PREMIERE MISSION :

     Vers 1195, sur les conseils de Diègue d’Acébès, prieur du chapitre, l’évêque d’Osma le nomma chanoine du chapitre de la cathédrale. Ordonné prêtre à vingt-cinq ans, il devient sous-prieur en 1201. C’est Diègue, devenu évêque qui choisit Dominique pour l‘accompagner en voyage missionnaire au Danemark en 1203 : le roi Alphonse II de Castille souhaitait marier son fis avec une jeune fille noble du pays danois. Un an plus tard, de retour en Castille, ils apportaient la réponse favorable ; le roi les chargea d’y retourner pour chercher la jeune fiancée. Une nouvelle tragique  les attendait en Scandinavie : la jeune fille était morte.

     Avant de rentrer au pays, ils décidèrent de passer par Rome pour une audience avec le  pape. Diègue souhaitait d’être démis de sa fonction afin de se faire missionnaire auprès des païens. Innocent III refusa. Diègue et Dominique reprirent le chemin d’Osma vers 1206. Is firent un détour par la Bourgogne et s’arrêtèrent à l’abbaye de Cîteaux où, Diègue, impressionné par la vie monacale, revêtit l‘habit blanc des Cisterciens. Or, Innocent III avait écrit aux moines de Cîteaux pour demander de l‘aide dans l‘affaire occitane.IMGP3022.JPGIMGP3029-copie-1.JPG

LA RENCONTRE DECISIVE :

     Accompagnés de quelques moines, ils allèrent à Montpellier vers la fin août où ils trouvèrent les légats forts découragés par l’inefficacité de leurs prédications et les nombreux  problèmes rencontrés dans tout le Midi. Les hérétiques appuient leurs prédications par l‘exemple de la sainteté, de la dévotion, de la frugalité évangélique et de l‘austérité alors que les légats « étalent une façon de vivre opposée à celle des hérétiques ; vous édifierez peu, leur dit Diègue, vous détruirez beaucoup et ces gens refuseront d’adhérer…  Seule une humilité vraie peut vaincre la jactance de ces pseudo-apôtres… ». Diègue renvoya à Osma les gens du convoi, les voitures et les bagages et ne garda auprès de lui que Dominique. Ce sont eux qui ont introduit en Occitanie la prédication évangélique avec   l‘aide de deux légats Raoul de Fontfroide et Pierre de Castenau. Arnaud-Amaury était attendu à Cîteaux pour le chapitre général qui devait se tenir en septembre.

LA NOUVELLE PREDICATION :

      Cheminant vers le sud, à pied, mendiant leur pain et dormant sur le bord des chemins, lis s’arrêtent à Servian. Là, les prédicateurs entreprirent de discuter avec plusieurs parfaits dont  Bernard de Simorre, évêque du Carcassès, un nommé Baudouin et surtout Guillaume de Châteauneuf, ancien doyen du chapitre de Nevers, qu’hébergeait le seigneur des lieux, Etienne de Servian, gendre de la parfaite Blanche de Laurac. Le débat public dura une semaine au profit des catholiques au point que, selon Pierre des Vaux-de-Cernay dans son « Histoire Albigeoise », les habitants furent convaincus et voulurent chasser les hérétiques.      De Servian, ils allèrent à Béziers où ils restèrent quinze jours à prêcher et à discuter avec des habitants à majorité cathares et haineux à l’égard de Pierre Castelnau et de ses discours menaçants et qui ne cesse de brandir les foudres de l‘autorité. Il lui fut conseillé de se mettre quelque temps à l‘abri qu’il trouva à Villeneuve-lès-Maguelonne.

L’INCIDENT « MIRACULEUX » DE VERFEIL AVEC BERNARD DE CITEAUX :

      Après Béziers, ce fut Carcassonne où ils consacrèrent une semaine en sermons et en controverses. Puis, ils gagnèrent  Verfeil. Or, en 1145, Bernard de Cîteaux, accompagné de l’évêque de Chartres et d’un légat pontifical, se trouva dans cette ville et convia les habitants à l‘église qui, au milieu du sermon, se vida peu à peu, les notables en tête bientôt imités du petit peuple. Bernard les poursuivit sur la place publique, et, devant ses harangues violentes,  la plupart des habitants rentrèrent chez eux en claquant leurs portes. Avant de partir de la ville, Bernard la maudissant s’écria : «  VERT/FEUIL, que Dieu te dessèche » selon « La Chronique » de  Guillaume de Puylaurens. IMGP0336.JPG

LA CONTROVERSE THEOLOGIQUE :

      A Verfeil, les trois religieux trouvèrent devant eux deux parfaits très réputés : Arnaud Arrufat de Castenaudary et Pons Jourda de Verfeil. Un habitant de Drémil, Guillabert du Bousquet assura aux prêcheurs qu’il y avait peu d’hommes qui ne lui étaient pas acquis ; l’hérésie était  si florissante dans la région qu’elle avait gagné les bourgs voisins de Caraman et de Lanta. La  discussion s’engagea sur la nature (humaine et/ou divine) du Christ. Livres en main, Diègue montra, sans convaincre ses adversaires, que leur interprétation de l‘Evangile de saint Jean était erronée et pauvres leurs argumentations théologiques.

LETTRE D’INNOCENT III :

      Le 17 novembre 1206, les trois prêcheurs reçurent la lettre par laquelle Innocent III définissait officiellement la nouvelle méthode de prédication et ordonnait sa généralisation. « Simplement vêtus et ardents du cœur » selon les termes du pape, les missionnaires sillonnent alors  le Lauragais et visitent les foyers du catharisme : Mas-Saintes-Puelles, Castelnaudary, Laurac, Fanjeaux, Montréal. Ils ne sont pas toujours bien accueillis ;  il arrive qu’on leur jette de la boue au passage et que, pour se moquer, on leur attache de la paille dans le dos.

LE « COUVENT » SAINTE MARIE A PROUILLE :

      L’hiver 1206-1207 les surprit à Fanjeaux et, à l‘image des maisons que tenaient les parfaits et parfaites, Diègue et Dominique, récupérant une petite église à demi abandonnée, fondèrent, au pied même de Fanjeaux, un couvent à Prouille que l’évêque de Toulouse, Foulques, leur céda. L’évêque Bérenger de Narbonne leur envoya un don substantiel afin de montrer que les plaintes des légats à son égard étaient infondées. Il leur donna aussi l’église Saint-Martin-de-Limoux. Quelques dons des catholiques du pays arrivèrent bientôt, et dès le début de 1207, un clerc de Pamiers, Guilaume Claret, et sa sœur, se donnèrent avec leurs biens ; ce fut le premier couvent « dominicain » avant la lettre puisque l’ordre ne fut fondé que près de dix ans après. Le 8 août, un couple de serfs de Villasavary, affranchis par leur seigneur, entrèrent dans le couvent faisant don de leurs biens meubles et immeubles y compris leur maison et leur jardin. Alors que Guillaume Claret secondait Dominique dans l’administration, dix-neuf femmes, dont un certain nombre de parfaites, entrèrent comme moniales à Prouille. Tandis que, peu à peu le couvent s’organise et se développe, Dominique continue sa prédication itinérante ; il fera d’autres conversions à travers le pays, décernant aux repentis des lettres de pénitence attestant qu’ils avaient renoué avec la foi catholique. Il y eut quelques fausses conversions mais aussi de durables repentirs lors de la grande conférence contradictoire qui se tint quinze jours à Montréal au printemps 1207. IMGP2992.JPG

LE « MIRACLE » du FEU :

     Guilhabert de Castres était accompagné de Benoît de Termes, futur évêque cathare du Razès, le diacre Arnaud Hot, le parfait de Verfeil Pons Jourda et bien d’autres ; en face d’eux,  Pierre de Castelnau, enfin de retour, Diègue, Dominique, et Raoul de Fontfroide. On choisit quatre arbitres : deux chevaliers et deux bourgeois. La controverse porta essentiellement sur l’église catholique et sur la messe. Chaque partie fut conviée à mettre ses arguments par écrit. Ici, se place dans le légendaire dominicain un épisode aussi miraculeux que célèbre : on décida de faire subir aux deux libelles l’ordalie du feu. On les jeta dans une cheminée ; celui des cathares brûla aussitôt ; celui qu’avait rédigé Dominique rejaillit par trois fois des flammes si brûlant qu’il s’en alla marquer une poutre du plafond qu’on montre encore en l’église de Fanjeaux.

      Dans son « Historia Albigensis », Pierre des Vaux-de-Cernay, raconte avec force détails cet épisode.  

       La conférence terminée, arriva le légat pontifical Arnaud-Amaury avec douze abbés et autant de moines qui se répartirent en deux groupes pour poursuivre les prédications. Pierre de Castelnau gagna Toulouse et prononça l‘excommunication de Raimond VI et jeta l‘interdit sur ses biens. Innocent III confirme la sentence le 29 mai 1207 puis, le 17 novembre, il écrit à nouveau à Philippe-Auguste et aux grands barons. Il les presse de de partir au combat, il renouvelle en leur faveur les indulgences de la croisade, il met les personnes et leurs biens sous la protection du Saint-Siège. « …Puisque aucun remède n’a d’effet sur le mal, que celui-ci soit extirpé par le glaive… ».

L’ANECDOTE DU DEBAT A PAMIERS :

      Quant à la communauté, début automne 12O7, les ressources manquant, Diègue décide d’aller à Osma chercher de l’argent. Sur le chemin, il arrive à Pamiers où  il assista à un débat contradictoire entre catholiques et cathares. Du côté catholique, il  y avait Foulques, l‘évêque de Toulouse, Navarre, évêque de de Couserans et plusieurs abbés. Du côté hérétique, il y avait des cathares et des vaudois. L’arbitre choisi fut un clerc d’un grand renom, Arnaud de Crampagna.

       Si on méconnaît le sujet du débat, une anecdote est contée par Guillaume de Puylaurens dans sa « Chronique » :  Esclarmonde, une des deux sœurs du comte de Foix, Raymond-Roger, prit la parole ; frère Etienne de la Miséricorde, la rabroua vertement : « Madame, allez filer votre quenouille, il ne vous sied pas de parler en de telles réunions ».  Arnaud de Crampagna se détacha de sa croyance hétérodoxe et remit sa personne et ses biens aux mains de Diègue. Il se voua entièrement à la cause antihérétique et devint chanoine à l’abbaye de Saint-Antonin et accompagnera Dominique à Rome en 1221 ; en 1236, il fera fonction d’inquisiteur à Toulouse aux côtés de Jean de Navarre et de Guillaume Arnaud, future victime du massacre d’Avignonet.

     Diègue, à peine arrivé dans son évêché, usé par dix-huit mois de privations, de marches incessantes et de total dévouement, tomba malade et mourut le 30 décembre alors qu’il s’apprêtait à revenir à Prouille. Dominique organise la prédication à partir de Prouille puis depuis Toulouse de 1209 à 1211. Entre temps la croisade s’est abattue sur le Languedoc et la curie pontificale, fourbissant d’autres armes, élabore des méthodes coercitives radicales contre les hérétiques.  Dominique assiste au premier siège de Toulouse fin juin 1211.

     En février 1215, Dominique reçoit de Pierre Seilan, fis du viguier du comte de Toulouse, un ensemble de trois maisons proches du château Narbonnais de Toulouse où il installe ses disciples ayant pour mission de « s’en aller, dans la pauvreté évangélique, à pied, en religieux, prêcher la vérité évangélique ». En octobre 1215, Dominique part pour Rome rencontrer Innocent III pour lui demander la confirmation d’un « Ordre » qui serait et s’appellerait « des Prêcheurs » Le souverain pontife accepte à condition que l‘Ordre soit rattaché à une tradition régulière. Dominique choisit la règle de Saint-Augustin. L‘Ordre des Frères Prêcheurs obtient les confirmations d’Honorius III en 1216-1217. IMGP1721.JPG

     De retour à Toulouse, Dominique, qui s’est toujours tenu à l’écart de a croisade, envoie ses seize premiers frères prêcheurs  prêcher, étudier et recruter à Madrid, Paris, Bologne et Rome.  Puis ils vont vivre au prieuré Saint-Romain (à l’angle de la rue Saint-Rome et Jules Chalande aujourd’hui) avant de s’établir en 1230 aux Jacobins grâce à la donation de la famille Garrigue. En 1220, se tient à Bologne le premier chapitre général de l‘ordre qui s’est doté d’une législation originale : tout entier consacré à prêcher la Parole de Dieu, le frère doit accorder à l’étude assidue de celle-ci et au travail intellectuel une place fondamentale ; il doit renoncer à tout revenu et ne vivre que de la mendicité ; enfin, chaque frère participe au gouvernement de l’Ordre élisant avec ses pairs le prieur du couvent ; les prieurs à leur tour désignent le prieur provincial et ces derniers élisent le maître général de l‘Ordre. IMGP9308.JPG

     En avril 1221, Foulques, accompagné de Dominique et d’Arnaud de Crampagna, un des tout premiers compagnons de Dominique, se rendit à Rome avec huit moniales de Prouille pour constituer le premier couvent des sœurs de Saint-Sixte qu’i venait de créer. L’évêque Foulques donna au Maître des Frères Prêcheurs et à son ordre l‘église Sainte-Marie de Fanjeaux avec ses dîmes, droits, appartenances et revenus.  

     Lorsqu’il meurt à Bologne le 6 Août 1221, Dominique laisse un Ordre en pleine expansion comptant déjà vingt-cinq couvents. Ce n’est qu’en 1231 que Grégoire IX confie aux Prêcheurs la direction des tribunaux d’Inquisition. Il sera canonisé par ce pape en 1234. IMGP0539   IMGP0534

BIBLIOGRAPHIE :

DES VAUX-de-CERNAY (P.) : Historia Albigensis, Vrin, 1951.

PUYAURENS (G. de) : Chronique, Le Pérégrinateur, 1996.

ROQUEBERT (M.) : L’épopée cathare, 5 tomes, Perrin, 2006-2007.

ROQUEBERT (M.) : Histoire des Cathares, Perrin, 2002.

DUVERNOY (J.) : Le Catharisme, 2 tomes, Privat, 1976-2004.

LES CAHIERS DE FANJEAUX : n°1, n°3, n°8, n°20, Privat.

TUDELE (G. de) et son CONTINUATEUR : La Chanson de la Croisade Albigeoise, Livre de poche, 1989.

VAISSETE (J.) et DEVIC (C.) : Histoire générale du Languedoc, Privat.

Revue HERESIS : Le christianisme médiéval, Centre d’études cathares, Carcassonne.

COLLECTIF : Les Cathares, MSM, 2000.

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20 septembre 2014 6 20 /09 /septembre /2014 18:14

ARNAUD de CLERENS des Cassès (canton de Castelnaudary)

  et sa femme GUILLEMETTE.

Contexte :

    C’est à partir de 1245 que Bernard de Caux et Jean de Saint-Pierre, sur le parvis de la basilique Saint-Sernin à Toulouse, lors des grands sermons, qui dirigent le tribunal de l’inquisition. Il s’agit ici de deux fragments des confessions que ce couple fait après une première déposition et un séjour à la prison toute proche de la basilique. Le village des Cassès  fut un haut lieu du catharisme où Simon de Montfort fit brûler une soixantaine de parfaits en 1211 et qui connaît, après le bûcher de Montségur, des visites fréquentes de parfaits assurant leur ministère dans la clandestinité, fuyant les rigueurs de l’inquisition, les risques des délations, les officiers de Raimond VII et les armées royales. IMGP0737

Déposition d’Arnaud :

    L’an que dessus le 3 des ides de novembre (11 novembre 1245), Arnaud de Clérens… ajoutant à sa confession dit :

    J’ai vu ces parfaits Raimond de Mirepoix et Bernard Fort chez moi. J’ai vu avec eux Guillaume de Vallières de Saint-Félix et un autre dont je ne me rappelle pas le prénom mais je crois qu’il s’appelle Barrau et sa femme Guillemette. Tous, et moi-même, avons adoré ces parfaits.
    Il y a trois ans ou environ (donc 1242).

    Et alors ces parfaits hérétiquèrent (reçurent et consolèrent) la mère de Guillaume de Vallières à ce que j’entendis dire à Pierre Crestian du Vaux. Et ce Pierre de Vallières emporta alors avec sa jument du blé qu’il avait donné pour cette hérétication de sa mère à destination de Montségur…

Déposition de Guillemette :

    L’an du Seigneur 1245, quatorze des calendes de décembre (18 novembre 1245), Guillemette, femme d’Arnaud de Clérens… dit :

… Item, les frères Raimond Isarn et Etienne des Cassès mirent vingt setiers de froment dans une fosse (souterrain creusé dans l’argile servant de silo et, au besoin, de refuge) dans ma maison. Puis peu de temps après, ces frères Raimond Isarn et Etienne allèrent à Montségur à ce que j’entendis dire, se firent parfaits et y furent brûlés.

    Il y a deux ans et demi que cela eut lieu (donc fin 1242).

Commentaires :

     Dans cette courte et fragmentaire confession, sont nommés par Arnaud :

Deux parfaits,

Quatre croyants,

Un sympathisant.

    Très fréquemment, après avoir été reçus et consolés, les nouveaux parfaits et parfaites offraient des vivres, de l’argent, des terres, un domaine en signe de reconnaissance. Ces dons constituent en grande partie ce que l’on appelle « le  trésor » de Montségur.

Par sa femme, sont cités deux croyants qui allèrent à Montségur portant vingt setiers de froment, les frères Raymond Isarn et Etienne ; ceux-ci  figurent parmi les consolés de la Mi-Carême, le dimanche 13 mars 1244, et moururent sur le bûcher parmi les deux cent vingt-quatre parfaits « dans un enclos fait de pals et de pieux où l’on mit le feu » écrit Guillaume de Puylaurens dans laChronique.

     La systématicité de l’inquisition s’exprime dans l’interrogatoire du seigneur du village DES CASSES à savoir Raimond de Roqueville qui, requis, le trois des calendes de février (30 janvier 1246), dit :

    Madame Raimonde, ma femme, se sauva alors qu’elle avait une maladie. Par la suite, je sus et entendis dire qu’elle alla auprès des parfaits à Montségur et qu’elle y mourut.

    Il y a cinq ans à la dernière Sainte-Cécile…(donc 1240).

    Dans sa déposition devant Frère Ferrer le 23 février 1244, la parfaite Dias de Saint-Germier avoue que « déjà parfaite dès 1225 par Guiraud de Gourdon chez elle et, arrivée à Montségur à la fin de 1240, elle apprit que Raimonde de Roqueville fut reçue et consolée par l’évêque Bertrand Marty avant de mourir ».

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Bibliographie :

 Registre de Bernard de Caux et Jean de Saint-Pierre (1245-1246),  Bibliothèque municipale de Toulouse Ms 609.

GUILLAUME DE PUYLAURENS, Chronique, Le Pérégrinateur, 1976.

DUVERNOY (J.), Le dossier de Montségur, le Pérégrinateur, 1998.

DUVERNOY (J.), Le Catharisme, 2 tomes, Privat, 1976 et 1979.

ROQUEBERT (M.), L’épopée cathare, 5 tomes, Perrin, 2002-2007.

ROQUEBERT (M.), Histoire des Cathares, Perrin, 2002.

BRENON (A.), Le vrai visage du catharisme, Loubatières, 1998.

COLLECTIF, Les Cathares, MSM, 2000.

LE ROY LADURIE et COLLECTIF, Les Cathares en Occitanie, Fayard, 1982.

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15 septembre 2014 1 15 /09 /septembre /2014 18:44

 (8 août-septembre  1219).

    Le siège avait duré quarante-cinq jours durant lesquels « les adversaires se défendaient courageusement et puissamment. Les machines royales furent incendiées et le roi rentra en France » nous dit Guillaume de Puylaurens dans sa « Chronique ». Dans les jours qui suivirent la levée du siège, Centulle d’Astarac et ses compagnons de Marmande et Bernard-Othon de Niort, prisonniers à Puylaurens des armées royales furent échangés contre Jean et Foucaud de Berzy et Thibaut de Nonneville.

    Le 8 août, Centulle, revenu à Toulouse, fait rédiger à des notaires une charte de privilèges où il est écrit : « …Nous Centulle, par la grâce de Dieu comte d’Astarac, de notre personnelle et bonne volonté, en notre nom et au nom de tous nos héritiers et successeurs, donnons librement à perpétuité et concédons à tous les hommes et femmes de la Cité et du Bourg de Toulouse, tant présents que futurs, licence et libre pouvoir d’aller et venir, avec toutes leurs affaires, marchandises et objets de négoce, par tout le pays que nous possédons et tenons actuellement et dans celui que, grâce au Christ, nous posséderons et tiendrons dans l’avenir ou que nous pourrions acquérir…(Ils pourront aller), par terre et par eau, libres et exempts de pégage, leude, coutume tant anciens que nouvellement institués comme de tout usage et tolte, bref de tout prélèvement qu’aucun bayle, viguier, prévot ni agent institué par nous dans toute notre juridiction n’a le droit, en aucun temps, ni sur terre ni sur eau, d’exiger ou requérir ni percevoir de gré ou de force, des dits hommes de la Cité ou du Bourg de Toulouse, présents et futurs….

    Franchise et exemption données, étant consuls de Toulouse, Raymond Molinier, Guillaume Pons, Vital Bozom, Arnaud Guy l’aîné, Raymond Baragnon, Pierre Amiel, marchand, Arnaud de Baraigne, Bernard Arnaud, marchand, Barthélémy Saunier, Raymond de Cailhau, Arnaud Onde, Pierre-Guillaume Fabre, Raymond Pellefigue, Géraud Peytavi, Arnaud de Saint-Félix, Pons Palmade, Guillaume Bousquet, Pierre-Guillaume Gaubert, Bernard Gayraud, Aimery Auberger, Guillaume-Pierre de  Casals, Jean de Montlandier.

    Cette franchise et exemption a été donnée et concédée le huitième jour du mois d’août sous le règne de Philippe roi des Français, Raimond étant comte de Toulouse et Foulques, évêque.

    De cette concession de franchise et exemption sont témoins le seigneur Raymond, fils de seigneur comte de Toulouse et de la reine Jeanne (futur Raimond VII) ainsi que Bernard Jourdain de l’Isle et les consuls de Toulouse…

    Sont également témoins Arnaud de Villemur, présentement sénéchal de Toulouse, Pelfort de Rabastens, Géraud de Gourdon, Doat Alaman, Martin Chive, notaire et Pierre Raymond, notaire de Toulouse qui a rédigé cette charte à la demande du seigneur Centulle ».

Le 10 décembre, Raymond VI signe la même charte, concédant aux Toulousains les mêmes franchises fiscales sur tous les domaines, présents et futurs, à cette réserve près qu’il en excepte les taxes perçues sur le sel, le pain et le vin.  

    Par ces privilèges, dans une intention politique, le comte de Toulouse récompensait les Toulousains de leur courage (il faut relire le chapitre III de « La Canso » de Guillaume de Tudèle sur l’organisation de la défense de Toulouse tant la richesse des détails en font un document précieux), s’assurait de leur confiance et de leur dévouement, scellait l’union sacrée, face à la croisade, de la haute noblesse féodale et du peuple, car dans ces franchises, producteurs, négociants et consommateurs trouvaient leur compte, dans le même temps que les puissants faisaient le sacrifice d’une partie de leurs revenus. Les mobiles économiques sont évidents : ces franchises aidaient à relancer les échanges commerciaux après des années de guerre, de restrictions, de famines et de tragédies, restauraient les liens entre les habitants, rappelaient les valeurs de la culture occitane.       

    Pour les Toulousains cette charte n’était pas une nouveauté puisque ils disposaient de libertés favorisant le commerce et les  échanges même s’il avait fallu convaincre par la force de la milice municipale certains seigneurs du voisinage entre 1202 et 1205. Plus de vingt traités de paix entre les consuls et des seigneurs témoignent du bouleversement des pouvoirs : la « république ou res publica » toulousaine allait désormais occuper un pouvoir détenu jusqu’alors par les féodaux. Car il s’agit de reconstruire l’économie après les très lourdes pertes en vies humaines, les saisies et contributions forcées levées par l’occupant, les rapines et les ravages périodiques causés sur les cultures agricoles. D’autre part, les féodaux soutiennent le retour à l’économie normale car eux aussi ont été durement touchés : neuf chartes, entre 1219 et 1222, seront signées pour étendre les franchises du commerce à celui d’Astarac, ainsi qu’aux comtés de Comminges et de Foix, aux seigneurs de Rabastens, de l’Isle-Jourdain, de Montréal et de Laurac sans compter les privilèges accordés à d’autres villes.

    Dans cet indiscutable élan de patriotisme qui soulève le pays tout entier, il y a la prise de conscience que le comte doit compter sur l’appui du peuple et des consuls et que ceux-ci tirent leur légitimité de la réalité comtale. Tout au long des années de libération, le consulat ne relâchera jamais sa volonté d’émancipation et ceci conduira à des changements notables dans le recrutement social des magistrats municipaux. L’on constate une montée des partis populaires au détriment de la vieille oligarchie. Ce mouvement se continuera dix ans jusqu’à la croisade royale et à la Paix de Paris de 1229, marquant à chaque étape le recul du pouvoir féodal.

    Mais après 1229, sitôt la paix conclue, le comte et de nombreux barons du pays revinrent à l’état ancien, en matière d’exactions fiscales avec l’appui et l’encouragement du pouvoir royal.

    Or, le 8 août 1219, les consuls, saisis d’un sombre pressentiment, décident, par arrêté, de renforcer les défenses de la ville en élargissant les fossés extérieurs et décrétant que les lices devaient être considérées comme des zones militaires.

BIBLIOGRAPHIE.

DOM VAISSETE (J.) et DOM DE VIC (G.) : Histoire générale du Languedoc, tome VIII, Privat.

DE TUDELE (G.) et SON CONTINUATEUR ANONYME : La Chanson de la Croisade Albigeoise, Les Belles Lettres, traduction Gougaud H. , Livre de poche.

ROQUEBERT (M.) : L’épopée cathare, 5 tomes, Perrin, 1971-1989.

ROQUEBERT (M.) : Histoire des cathares, Perrin, 2002.

DE PUYLAURENS (G.) : Chronique, Le Pérégrinateur, 1996.

DUVERNOY (J.) : L’Histoire des cathares, 2 tomes, Privat, 1976-1986.

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6 juillet 2014 7 06 /07 /juillet /2014 16:10

  IMGP0012  L’apparition des collèges est liée à la création de l’Université. Ces institutions ont une finalité humanitaire et veulent répondre aux problèmes  que soulèvent :

l’arrivée de jeunes plus ou moins « importés », d’origines socio-économiques diverses,

l’existence, parmi eux, d’étudiants pauvres, livrés à la rue, au statut particulier et sans attache familiale.

    Les réponses sont diverses :

comme dans d’autres universités, le mécénat par lequel le donateur reçoit, en retour du bénéficiaire, un engagement moral et religieux ; ce dernier doit prier pour le salut de son donateur et des membres de sa famille,

la création de collèges  afin d’améliorer le quotidien de l’étudiant par l’accueil dans des institutions spécifiques,

à la mission sanitaire des hôpitaux s’adjoint le service hôtelier pour les étudiants pauvres comme le souhaitent les lettres du pape Grégoire IX (22 décembre 1233) puis le pape Innocent IV (19 décembre 1245) ; à Toulouse l’hôpital Saint-Raymond va offrir une douzaine de lits. En effet, le pape Grégoire IX, dans une lettre du 28 avril 1236, garantit une indulgence spéciale à tous ceux qui  pourraient donner des aumônes à l’hôpital Saint-Raymond car « une telle multitude était rassemblée là qu’on peut leur fournir des lits et toutes les choses qui leur sont nécessaires ».En février 1250, l’évêque d’Agen, Guillaume, ancien inquisiteur, donne une maison, contigüe à l’hôpital Saint-Raymond, à l’abbé de Saint-Sernin ; à partir de 1256, la maison  devient un gîte pour les étudiants pauvres qui dsiposent de cellules et de salles d’étude. Quelques années après, l’hôpital de Saint-Jean de Jérusalem ou hôpital Rémésy accueille des étudiants pauvres malgré la lettre du pape Grégoire IX  qui, dans une lettre adressée à Romain de Saint-Ange, rappelle la mission première de l’Université à savoir la répression de l’hérésie et veut que soient dissous les « rassemblements d’étudiants » : « volumus confratrias et colligationes omnino dissolvere »

    La fondation d’un collège a lieu le 29 mars 1243 grâce à l donation de maisons par Vidal Gautier, riche bourgeois toulousain : « Moi, Vidal Gautier, je concède aux étudiants pauvres faisant leurs études à Toulouse cinq maisons et leurs dépendances… pour le salut de mon âme et des âmes de mes père et mère ».

    Il souhaite qu’y soient logés une vingtaine d’étudiants au moins, issus de douze diocèses différents. Il souhaite ainsi  assurer et renforcer le rayonnement régional de l’université  toulousaine alliant ainsi les finalités matérielles (le collège vivra grâce aux revenus de dix-huit maisons en location ou fermage) et spirituelles (les étudiants doivent assister aux offices religieux).

    Malgré toutes ces conditions favorables, le collège connaîtra un certain échec lié probablement aux difficultés et vicissitudes que connut l’université peu après sa création.

    Ce n’est qu’au XIVe que Toulouse connaîtra la création d’autres collèges séculiers.

    En 1319, Guillaume de Montlauzun, ancien professeur de droit canon et avant sa nomination comme abbé de Montierneuf à Poitiers (1319), cède sa maison de Toulouse pour en faire un collège qui accueillera six étudiants

 

    En 1337, est fondé un troisième collège : le collège d’Arnaud de Verdalle, ancien professeur de droit à l’université de Toulouse avant de devenir évêque de Maguelonne en 1343.

    Il répond comme ses prédécesseurs à un don charitable pour des étudiants pauvres. L’organisation fonctionnelle (nomination de proviseurs) et les aspects matériels et financiers sont précis ; les étudiants élus appartiennent à la famille du donateur, aux habitants de Saissac et du diocèse de Carcassonne. Quant aux pauvres acceptés, ils ne doivent ni être souffrants de maladie ni handicapés moteurs.

    Ce qui spécifie la fondation ce sont les préoccupations universitaires à travers l’obligation au travail, l’assiduité dans les études afin de devenir de bons étudiants et de réussir ; une bibliothèque est mise à leur disposition ainsi que des salles ; la formation est choisie par l’étudiant avec le souci de rentabilité et d’efficacité.

    Le fondateur insiste aussi sur la dimension spirituelle : « cette maison doit subsister sur des fondements spirituels ». Deux clercs sont chargés de transmettre et de renforcer les principes de la foi avec les offices, les sermons, les prières quotidiennes et les confessions fréquentes. Il définit la vie communautaire à travers la présence au repas, les services de table et la lecture pendant les repas à tour de rôle.

    Des « collèges » monastiques existent : le « collège » Saint Bernard (1281) sous l’autorité de l’abbaye de Grandselve reçoit des cisterciens pour parfaire leurs études dans le cadre de leur clôture. Le « collège » de Moissac  ou collège de Saint Pierre des Cuisines (1286-1290) reçoit des bénédictins dans le cadre de leur ordre. Quant au « collège de Boulbonne » ou de Bolbonne (1286-1290) on connaît sa fondation mais, ses archives ayant été détruites, on ignore son histoire.

    La Daurade accueillait aussi des étudiants-moines au même titre que les dominicains, les carmes, les franciscains et les augustins.

    Le « collège » Saint Martial (1358) est une fondation directement papale. Ces collèges ont peu de rapports avec l’université toulousaine.    

 

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28 juin 2014 6 28 /06 /juin /2014 14:41

1 PREAMBULE :

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                 Le Traité de Paris signé le 12 avril 1229 comporte trente-deux articles dont trente et un sont des engagements forcés de Raymond VII, comte de Toulouse, par la volonté royale soutenue par le Siège apostolique et la haute hiérarchie ecclésiastique languedocienne et française.

          Pour se réconcilier avec l’Eglise, le comte de Toulouse doit promettre de lutter contre les hérésies et faire respecter la paix, de chasser les routiers de ses terres, de ne pas confier de charges publiques à des hérétiques ou à des juifs, de restituer à l’église les biens et les droits qui lui reviennent.

    Les articles 5 et 6 associent clairement le pouvoir temporel au pouvoir religieux dans la répression de l’hérésie. Suivent les peines auxquelles le comte doit se soumettre (porter la croix sur ses habits, partir en terre Sainte), payer d’importantes sommes à l’Eglise (10 000 marcs) et aux cinq abbayes (4 000marcs).

    Il doit également selon l’article 13 prendre en charge la rémunération des professeurs de l’Université de Toulouse qui sera inaugurée le 24 mai 1229 400 marcs/an pendant 10 ans.

Ainsi cette Université est imposée à Raymond VII et à la ville par le pouvoir royal et la volonté papale.

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2 LA FONDATION :

    Sous la houlette du légat Romain de Saint-Ange, les cisterciens et les dominicains vont porter la nouvelle institution. Elie Garin, abbé cistercien de Grandselve, fait le choix des « doctes parisiens » et Foulque, évêque de Toulouse, s’occupe de leur installation. Les Frères Prêcheurs sont chargés d’enseigner la théologie qui, selon le dominicain Guillaume Pelhisson doit « introduire l’enseignement de la foi et extirper l’hérésie ». Il deviendra années plus tard l’inquisiteur de l’Albigeois (lire ci-après).

   Le jeudi de l’Ascension (mai) 1229, le cistercien Hélinand de Froidemont prononce le discours inaugural de l’Université en l’église Saint-Jacques à Paris. Il assurera au Concile de Toulouse (novembre 1229), qui confirme les clauses du traité de Paris, les discours d’ouverture et de clôture. Après une violente critique des grandes Universités existantes (Paris, Orléans, Bologne, Salerne et Tolède) qui, à ses yeux, sont devenues les lieux de perdition des âmes, il s’attaque à la philosophie et aux philosophes grecs, aux arts libéraux et à l’étude des textes. Pour lui, «  la vraie science est la science des saints ». Les finalités de l’Université sont explicites.

   Le recrutement des professeurs et des étudiants fut aisé ; il se fit à Paris dont l’université connaissait une grève depuis février 1229. Or, cette idée apparaît dans les cinq lettres que le pape Honorius III (19, 21 et 28 janvier) envoya aux principales autorités de Toulouse.

   Dans la bulle du 19 janvier, le pape demande par mandat apostolique aux « maîtres et étudiants demeurant à Paris » que « quelques-uns d’entre vous abordent cette terre (Toulouse) et, s’engageant de tout cœur pour les affaires de Dieu, se consacrent assidûment  à l’enseignement public, à la prédication de la foi, et à l’exhortation morale ».

   A cette date, Dominique est auprès d’Honorius III et l’une des bulles du pape est adressée au prieur et aux frères de l’église de Saint-Romain donnée par le prévôt de la cathédrale Saint-Etienne à Dominique, « prieur et maître des Prêcheurs » pour confirmer leurs titres et leur office de prêcheurs en les invitant à « évangéliser la parole de Dieu » avec plus d’ardeur que jamais en « athlètes invaincus du Christ ».

   Ainsi la prédication et l’enseignement du « froment de la doctrine » sont si partagés par le pape et Dominique que l’on retrouve quasiment les  mêmes textes avec les mêmes préoccupations essentielles et urgentes : la volonté de réformer efficacement les mœurs de tous les types de chrétiens et, pour cela, décentraliser l’enseignement en multipliant couvents et institutions, chacun doté d’une école publique de théologie afin que « le bon grain porte ses fruits s’il est disséminé tandis qu’entassé il pourrit ».

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3 LES PREMIERS OBSTACLES :

    Bien que les conditions matérielles et financières soient exceptionnellement assurées, la jeune Université va connaître des difficultés multiples :

   Raymond VII ne respecte pas ses devoirs quant au financement régulier des salaires des enseignants et perturbe ainsi le fonctionnement régulier. D’autre part, Jean de Garlande, un maître anglais venu à Toulouse en mai 1229,  vante les charmes de Toulouse, « autre terre promise où coulent le miel et le lait… où Bacchus règne sur les vignes et Cérès, sur les moissons » afin d’attirer de nouveaux étudiants en 1230. Il élargit les domaines d’étude en introduisant la médecine, le droit romain et la philosophie aristotélicienne.

   Par ailleurs, les toulousains rechignent à accepter cette institution importée et se soulèvent contre les méthodes d’un des maîtres de  théologie, Roland de Crémone. Ce dernier, en effet, se livre à des prêches en place publique où il pratique menaces et intimidations et surtout fait exhumer des cadavres d’individus suspectés d’hérésie et livrés aux bûchers comme ceux de  Jean-Pierre Donat, de A. Peyre, cathares et de Gauban, un vaudois dont la dépouille est promenée dans les rues de la ville.

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4 LES DEMARCHES DES CONSULS :

    En 1231, les Consuls de la ville rencontrent le prieur des dominicains pour se plaindre et exprimer leur vif mécontentement. Certains habitants viennent perturber le déroulement des cours, ridiculisent les maîtres et poussent les étudiants à contester la formation et la compétence de leurs professeurs.

   Comme l’écrit Gratien-Arnoult : « cet orage eut pour cause le mécontentement d’un grand nombre de laïques qui ne voyaient en ces maîtres que des représentants du part vainqueur et qui s’irritaient de leurs attaques continuelles contre les opinions et les hommes du parti vaincu ».

   Jean de Garlande en 1232 suivi de peu par Hélinand de Froidemont quittent la ville. Roland de Crémone en 1233 fait de même. La bulle du pape Grégoire IX (30 avril 1233) accorde d’importants privilèges au professorat mais la situation reste si profondément tendue que les maîtres quittent les bords ingrats de la Garonne pour ceux plus accueillants de la Seine.

   Le 22 avril 1233, Grégoire IX confiait la charge de l’Inquisition aux Dominicains.

 

5 L’UNIVERSITE OCCITANE :

    Le « studium » est totalement bouleversé ; il n’est plus une institution d’importation. Les facultés de Droit et des Arts incluent de nouveaux domaines : droit civil, enseignement de la médecine sauf pour la théologie qui fut assurée  par les dominicains au couvent des Jacobins, en marge de l’Université. Ainsi le domaine pour lequel l’Université fut fondée (la théologie) est  paradoxalement absent pendant le XIIIe. Les maîtres sont des locaux, tels Guillaume de Saint-Gaudens (1236).

   En 1239, en accord avec Raymond VII, les Consuls et les représentants de l’Université sont élus : Loup Espan, gascon, trois occitans, Pierre de Molandier, audois, Maître Sicard, chanoine de Narbonne, Maître Guillaume Arnaud, archidiacre de Lanta et G. de Saintes (méridional).

    Dès 1251, l’université de Toulouse ne diffère pas des autres grandes universités.

   De nouvelles et graves difficultés financières perturbent le fonctionnement de l’Université car Raymond VII continue à refuser de financer les enseignants. Le 22 avril 1236, le pape l’invite à s’amender et à respecter ses engagements, le rappelle encore à l’ordre le 18 mai 1237 et enfin écrit au roi de France pour faire pression sur son vassal afin de le contraindre à régler les salaires.

   En décembre 1237, Raymond VII envoie une délégation auprès du Siège apostolique afin de traiter les affaires en cours ; ses propositions sont rejetées et de nouvelles négociations aboutissent à faire reconnaître à l’université qu’à partir de 1239, elle ne pourra compter que sur ses propres moyens.

   Cette nouvelle situation n’a freiné ni son rayonnement intellectuel ni le recrutement croissant des étudiants qui proviennent des provinces voisines et des pays voisins comme le constate le pape Innocent IV le 8 mars 1244.

   L’enseignement du Droit aussi bien pour le droit romain que pour le droit canon connaît un succès indiscutable. Les enseignants de l’Université toulousaine ont réussi, parallèlement à leur exercice professoral, d’honorables carrières au service de la papauté ou de la royauté ou des deux. Ainsi des docteurs de Toulouse furent appelés par décisions papales à occuper des dignités diverses, tels  Guillaume de Ferrières, Pierre de Ferrières, Guillaume Hébrard, Bernard de la Tour, Arnaud Noubel.

   D’autre part, des maîtres de l’Université ont pris place dans l’administration des sénéchaussées de Toulouse et de Carcassonne comme Etienne Motel, Sicard Faure de Lavaur, Arnaud d’Arpadelle, Guillaume Arnaud des  Pujols, Jean Antoine, Arnaud Mestre.

   Enfin des professeurs font partie de l’entourage de Raymond VII. Loup Espan était son médecin. Sicard, chanoine de Narbonne, est témoin de l’acte du 21 avril 1243 par lequel le

Comte demande à  tous les évêques de ses terres d’extirper les hérésies.

   A partir de 1237, avec le comte Alphonse de Poitiers, les relations se raréfient alors que les liens avec les Consuls restent constants et encouragés le pape Innocent IV (1 septembre 1245) qui souhaite que les consuls et les habitants de Toulouse soient bienveillants envers les maîtres et les étudiants. Or, les Consuls pour maintenir l’ordre, assurer la sécurité de tous et enrayer les turbulences estudiantines interviennent en toute indépendance et empiètent sur les droits du tribunal de l’évêque et de celui du roi.

    La vie quotidienne des étudiants à Toulouse au XIIIe est mal connue mais la plupart menaient une vie dure. Le seul collège pouvant les accueillir mais en petit nombre est celui qui fut créé à la suite de la donation de Vital Gautier en 1243.

    La forte mortalité de cette époque n’épargnait pas les étudiants.

    Des troubles à l’intérieur de l’université (souvent causés par les non-inscrits qui suivaient irrégulièrement les cours) et dans la ville à la suite de différents entre groupes  d’étudiants, logeurs et habitants de la ville sont mentionnés en 1255, 1266 et 1290. 

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6 LE SCEAU :

    C’est à partie de la deuxième moitié du XIIIe que l’Université dispose d’un grand sceau ; de cire rouge, circulaire (70mm), il représente un professeur qui, depuis une estrade, assis sur une chaise, commente un livre ouvert placé devant lui. Deux apprenants, assis l’un derrière l’autre, lui font face et ont la tête inclinée sur un livre ; sur une petite estrade, un appariteur assiste au cours, une baguette à la main.

    Au-dessus de la scène, un dais à pinacles au centre duquel la Vierge-Reine, de face, assise, tient sur son bras gauche l’enfant Jésus et de sa main droite un rameau fleuri.

    Ce sceau fut en usage jusqu’à la Révolution Française.

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A PROPOS DE JEAN DE GARLANDE :

     Grammairien et auteur d’un « Dictionnarius », il quitte l’Université de Paris, alors en grève, pour rejoindre Toulouse en mai 1229 avec le projet d’introduire le goût des auteurs classiques, l’étude de la rhétorique et de la dialectique.

     Il complète son ouvrage en incluant les péripéties de la Croisade des barons du Nord menée par Simon de Montfort. Il s’engage très fermement dans la lutte contre l’hérésie (« De triumphis ecclesie »), associant dans la louange les actes et les paroles de Roland de Crémone et le comportement de Foulque, évêque de Toulouse. Il va jusqu’à comparer Romain de Saint-Ange au prophète Moïse.

     Contesté par ses collègues théologiens, malmené par les consuls et la population toulousaine, se sentant menacé, il quitte soudainement la ville dans des circonstances peu glorieuses.

     Docteur, il fonde à Paris une école dans le Clos de Garlande dont il emprunte le nom.

     Une rue de paris porte son nom, rue Galande. 

 

A PROPOS DE JEAN HELINAND :

     D’origine flamande, il doit se réfugier en France après l’assassinat de Charles le Bon, comte de Flandre, à cause des soupçons de complicité avec son père et son oncle.

     Elève de Raoul de Beauvais, il acquiert une grande culture des auteurs anciens et de la Patristique.

     Il devient un trouvère réputé auprès de la cour royale de Philippe-Auguste. Il entre au monastère cistercien de Froidmont et devient un prédicateur écouté. Il suit Romain de Saint-Ange à Toulouse.

     Son œuvre est surtout dominée par les préoccupations morales et l’obsession de la mort où, sans gêne ni regret, il puise dans des ouvrages anciens jusqu’à reproduire ou regrouper des textes existants comme dans ses « De regimine », « De cognitione sui » ou sa lettre « De reparatione lapsi »

     Son activité principale à Toulouse est la prédication à l’occasion de cérémonies d’ouverture et de clôture (Concile de Toulouse – sermon « de potestate et probitate » – novembre 1229).

     Il  dut quitter Toulouse peu après Jean de Garlande.

 

A PROPOS DE GUILLAUME PELHISON :

 Nommé inquisiteur début 1234, il seconde Arnaud Cathala à Albi. Puis, il accompagne comme inquisiteur Pierre Seillan (donateur des maisons toulousaines où Dominique s’installa avec ses six compagnons ; il se fit Dominicain peu après sa donation) en Quercy et, comme témoin, Bernard de Caux et Jean de Saint-Pierre en Lauragais en 1245 et 1246. A partir de 1248, il est le maitre d’ouvrage des Jacobins à Toulouse. Avant sa mort, en 1268, il rédige une chronique relatant, à l’usage des jeunes frères, les événements qu’il a connus en tant qu’acteur ou témoin de 1229 à 1244.

Le 15 juin 1234, Guillaume Pelhisson assiste à Albi aux travaux d’exhumation  d’une hérétique nommée Boissène. Il fut pris à parti par la foule hostile qui le roua de coups. Arnaud Cathala, revenu à la cathédrale, excommunia aussitôt la ville d’Albi.

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BIBLIOGRAPHIE :

 

CAHIERS DE FANJEAUX n° 1, Saint Dominique en Languedoc, Privat 1965.

CAHIERS DE FANJEAUX n° 4, Paix de Dieu et guerre sainte en Languedoc, Privat 1968.

CAHIERS DE FANJEAUX n° 5, Les universités du Languedoc au XIIIe siècle, Privat 1970.

OUVRAGE COLLECTIF, Les cathares, M.S.M. 2000.

DUVERNOY (J), Le catharisme 2 tomes, Privat 1976 et 1979.

ROQUEBERT (M), L’épopée cathare 4 tomes Privat 1971-1989.

PELHISON (G), Chronique (1229-1244) C.N.R.S. 1994.

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14 juin 2014 6 14 /06 /juin /2014 16:48

1.     L’organisation ecclésiale :

1.1 Les parfaits et parfaites

       S’il tire son origine de l’une des toutes premières communautés chrétiennes, le catharisme demeure profondément ancré dans la spiritualité du christianisme médiéval. Chrétiens, les cathares proposent une lecture dualiste du Nouveau Testament qui induit leur docétisme. Eux-mêmes se présentent comme les descendants de la première église des Apôtres, cette authentique « Gleisa de Dio » qu’ils opposent à la fausse Eglise pontificale romaine. De fait, organisée, structurée et hiérarchisée, possédant son propre et unique sacrement, l’Eglise de Dieu apparaît dans l’Occitanie des XIe et XIIIe siècles une véritable contre-Eglise dissidente. En son sein se distinguent un corps clérical, mixte, constitué de « Bons-Chrétiens » ou Bons-Hommes et Bonnes-Femmes et un corps de fidèles, appelés auditeurs ou croyants.

       Ordonné parmi les Bons-Chrétiens, à la tête d’un évêché, l’évêque est assisté par deux coadjuteurs choisis parmi les membres de son conseil, ses fils majeurs et mineurs. S’il vient à mourir, son fils majeur le remplace, l’ancien mineur devient majeur et un nouveau fils mineur est élu parmi les Bons-Chrétiens. Ordonnés par l’évêque, les diacres, itinérants, se voient imparti un territoire sur lequel ils ont la charge de prêcher, visiter les maisons religieuses et communautaires, recevoir et consoler. Le sacrement du consolament, l’unique sacrement cathare, infuse, par la double imposition des mains et du Nouveau Testament au- dessus de la tête de l’impétrant, le Saint-Esprit consolateur que le Christ fit descendre, au jour de Pentecôte, sur la tête de ses disciples.

      Ce consolament revêt de multiples fonctions : baptême spirituel administré à des croyants adultes ou adolescents volontaires (convenenza), après une période probatoire, il marque l’entrée dans l’Eglise cathare ; sacrement de pénitence ou de réconciliation, déliant de ses péchés celui qui le reçoit, il peut être renouvelé en cas de rechute dans le péché ; sacrement d’ordination, il consacre l’entrée  dans la vie religieuse et communautaire en maison et confère à chaque Bon-Homme, à chaque Bonne-Femme l’ayant reçu, le droit de prêcher et de le transmettre à son tour ; il sert aussi à ordonner les membres de la hiérarchie, consacrant évêques, diacres et fils ; enfin, sacrement du salut, scellant le mariage mystique entre l’âme et l’Esprit, il joue le rôle d’onction des malades, assurant aux mourants une bonne fin. Tout croyant désirant recevoir le consolament qui fera de lui un Bon-Chrétien, doit effectuer un noviciat d’au minimum un an dans une maison de Bons-Hommes s’il s’agit d’un croyant ou de Bonnes-Femmes pour la croyante. Au terme de ce noviciat, durant lequel il a partagé la vie communautaire et été instruit en religion il reçoit la tradition de la sainte oraison, cérémonie qui lui confère le droit d réciter le Pater, prière fondamentale du catharisme.

       Avant de recevoir le consolament le postulant s’engage à suivre les préceptes évangélique de la règle Justice et Vérité dont parle Paul dans son Epître aux Ephésiens. De même, il s’engage à vivre  du travail de ses mains comme le commande Paul aux Thessaloniciens qui exerçait le métier de fabricant de tentes d’où le sobriquet de « tisserands » dont on les a souvent affublés. Ainsi, les maisons-ateliers sont par excellence les lieux par lesquels la liaison entre l’Eglise et la masse des fidèles les lieux par lesquels passe l’intégration de l’Eglise cathare à la vie sociale et économique. Il n’y a donc pas de contemplatifs ni des solitaires car, à l’image des Apôtres, il faut être au moins deux en toute circonstance. Chaque parfait a un "soci", un compagnon ; chaque parfaite, une « socia ». La cellule base de l’Eglise cathare, c’est l’atelier communautaire, dirigé par un ancien ou une prieure pour les parfaites, où parfaits et parfaites pratiquent de multiples artisanats. On trouve chez eux, outre des tisserands, des fileuses de lin ou de laine, des couturières, des boulangers, des tailleurs, des cordonniers, des chapeliers, des gantiers, des selliers, des corroyeurs, des meuniers, des charpentiers itinérants, des médecins…

       Il est une autre obligation faites aux ordonnés et particulièrement aux hommes, c’est la prédication soit dans leurs ateliers soit sur la place publique soit chez des particuliers à leur invitation. Elle avait pour mission d’entretenir la foi, d’inciter les croyants à respecter la morale évangélique et de leur indiquer les voies du salut c’est-à-dire de les convaincre à recevoir le consolament comme sacrement d’ordination les engageant dans la vie religieuse ; sinon au moins comme baptême des mourants lorsqu’ils sentiront que leur fin est proche. Quand il s’agit du consolament des mourants ou ien le malade est transporté dans la maison communautaire ou bien il reçoit chez lui et sera reçu et consolé par les deux parfaits ; il sera désormais tenu à suivre les règles d’abstinence (l’endura ou jeûne rituel).

      Un autre type d’assistance spirituelle est la bénédiction du pain (le pain de l’Oraison) et sa distribution, au début du repas, aux croyants dont on partage la table. A l’inverse de l’eucharistie des catholiques, ce pain n’a aucune fonction sacramentelle ; il est un hommage à Jésus et non Son Corps selon la prière transmise par Mathieu « Donnez-nous aujourd’hui notre pain super-substantiel » c’est-à-dire une nourriture purement spirituelle.

     Autre rituel qu’accomplissaient parfaits et croyants confondus, surtout à l’issue du prêche, l’échange du baiser (caretas) qu’ils appelaient la paix. C’était un baiser en travers de la bouche, entre hommes ou entre femmes – mais d’homme à femme il se faisait simplement en inclinant la tête sur l’épaule de l’autre puis on baisait l’Evangile.

      Les parfaits et parfaites se doivent de répondre au salut rituel requis des croyants et des croyantes ou amélioration (melhorament). Quiconque rencontre un Bon-Homme ou une Bonne-Dame doit faire trois génuflexions et dire « Bénissez-moi, Seigneur (ou Bonne –Dame) et priez Dieu qu’il fasse de moi un bon chrétien et me conduise à une bonne fin ». Et le parfait ou la parfaite de répondre « Que Dieu soit prié, qu’Il fasse de vous un bon chrétien et vous conduise à une bonne fin ».

      Enfin, la vie nocturne et diurne est rythmée par de très nombreuses prières (Pater, Adoremus et actions de Grâce) et le bénédicité accompagne chaque prise d’aliment ou de breuvage.

      Reprenant les paroles du Christ quant à l’existence de lieux sacrés pour les rites, les cathares exercent leur ministère au milieu des autres, « là où se trouve Dieu » travaillent et vivent de leur travail, chargés religieusement à la fois de leur propre salut et séculièrement de celui des âmes des autres.

      Ces obligations s’accompagnent d’un certain nombre de contraintes : l’observance d’une absolue chasteté, à ne plus prêtre serment ni blasphémer, mentir, jurer, voler ni tuer serait-ce un animal. Il fait aussi vœu de ne jamais abandonner l’Ordre serait-ce au prix du martyre. Les manquements graves à la règle entraînent la perte du consolament et toute faute exige pénitence qu’impose le diacre. Néanmoins, si le fautif montre la volonté de revenir dans la foi, il peut le recevoir, prosterné devant le diacre, après une coulpe collective (apparelhament ou servici) afin de recevoir la remise des péchés et le don de pénitence.

Les croyants

      Autour de l’Eglise gravite la masse mouvante de simples fidèles, « les croyants » selon les inquisiteurs, qui présentent toutes les nuances possibles dans la fidélité aux principes de la foi cathare, dans la fidélité aux pratiques religieuses, dans l’aide qu’elle peut apporter à l’Eglise. Si le catharisme est déjà en fin du XIIe un fait de tradition et le restera pour les générations qui suivront, la diversité des comportements explique les changements constatés. Certains assument en connaissance de cause avec rigueur et avec courage, sous la persécution et la clandestinité l’héritage familial. D’autres abjureront la foi et se convertiront sous les pressions multiples.

      Il est symptomatique que dans la majorité des cas les personnages requis par le tribunal de l’inquisition disent ne pas avoir cru les erreurs que professaient les hérétiques touchant la Création, l’Incarnation, l’eucharistie, le mariage… et n’en avouent pas moins avoir accompli maintes fois les rites de l’adoratio, le salut rituel tout comme d’avoir assisté à des prêches de parfaits et à des consolaments de mourants. Tout croyant cathare n’est pas forcément un militant du catharisme. Il n’est croyant que par un libre choix sans cesse renouvelé qu’il peut abandonner à tout moment. Son lien avec l’Eglise est tacite et purement moral.

      Nous savons à travers les dépositions des requis par l’inquisiteur Bernard Gui ce que sait un croyant ; c’est que tous ceux que l’Eglise appelle hérétiques « sont des bons hommes et de bonnes femmes, d’authentiques amis de Dieu, qu’ils ont une foi bonne et qu’on ne peut être sauvé que par eux ». Il croit que ce n’est pas le Bon Dieu qui a créé le monde visible mais un mauvais créateur que par commodité il appellera le diable ; que le baptême d’eau est inopérant, qu’il n’y a pas de salut possible dans le mariage ; que l’hostie consacrée n’est pas le corps du Christ ; que le salut concerne l’âme seule. Nous savons aussi comment il se comporte : il pratique la salutation rituelle chaque fois qu’il rencontre un parfait ou une parfaite ; qu’il assiste aux prêches, participe au baiser de paix et au partage du pain béni même s’il ne mange pas à la table des parfaits ou parfaites ; qu’il demande à recevoir le consolament si, malade, il pense être près de mourir ; très souvent, il ne manque pas, en cette circonstance, de faire un legs à l’Eglise cathare ; qu’en temps de persécution et de clandestinité errante, il aidera l’Eglise persécutée ; ainsi se constitueront de village en village, sous l’inquisition, des réseaux très efficaces pour protéger localement les persécutés soit pour les conduire dans des régions plus sures (Pyrénées aragonaises, catalanes, l’Italie du Nord…)

                                                              BIBLIOGRAPHIE :

TEXTES FONDATEURS :

Christine Thouzellier : « Le livre des deux principes », éd Cerf Sources chrétiennes, n° 236, 1977.

Léon Clédat : « Rituel de Lyon » éd Slatkine, 1968.

Christine Thouzellier : « Rituel de Florence », éd Cerf Sources chrétiennes n° 236, 1977.

Anne Breton : « Rituel de Dublin » éd Heresis n° 20, 1993.

René Nelli : « Ecritures cathares » éd Planète, 1968, revu et actualisé par Anne Breton éd du Rocher 195O.

CHRONIQUES :

Guillaume de Tudèle : « La Chanson de la Croisade Albigeoise » Henri Gougaud Livre de poche, 1989.

Pierre des Vaux-de- Cernay : « Histoire Albigeoise » Pascal Guérin et Henri Maisonneuve éd Vrin, 1951.

Guillaume de Puylaurens : « Chronique » Jean Duvernoy éd CNRS, 1976.

Bernard Gui : « Manuel de l’Inquisiteur » Guy Mollat éd Les belles Lettres, 2006.

Durand de Huesca : « Une somme anticathare, Liber contra Manicheos » Christine Thouzellier éd Louvain, 1964.

DEPOSITIONS INQUISITORIALES :

 Jean Duvernoy : « Le dossier Montségur » éd Le Pérégrinateur, 1998.

Registre de Bernard de Caux et de Jean Saint-Pierre, Bibliothèque Municipale Toulouse.

« Cathares en Languedoc » Cahiers de Fanjeaux n° 3 éd Privat, 1968.

Jean Duvernoy : « Cathares et faidits en Albigeois vers 1265-1275 », Heresis n° 3, 1984.

Jean Duvernoy : « Le registre d’Inquisition de Jacques Fournier » 3 tomes, éd Moutou, 1978.

OUVRAGES :

Jean Duvernoy : « Le catharisme » 2 tomes, éd Privat, 1976 et 1986.

 Collectif : « Les cathares en Occitanie ». Ed Fayard, 1982.

Anne Brenon : « Le vrai visage du catharisme » éd Loubatières, 1995.

Anne Brenon et Jean-Philippe de Tonnac : «  Cathares, la contre-enquête » éd Albin Michel, 2008.

Anne Breton : « Les femmes cathares » éd Perrin, 2004.

Gwendoline Hancke : « L’hérésie en héritage » éd La Louve, 2006.

Laurent Macé : « Les comtes de Toulouse et leur entourage, XII-XIII siècles : rivalités, alliances et jeux de pouvoir » éd Privat, 2006.

Emmanuel Le Roy Ladurie : « Montaillou, village occitan » éd Gallimard, 1975.

Michel Roquebert : « L’épopée cathare » 5 tomes, éd Privat, 1989.

Michel Roquebert : « Histoire des Cathares » éd Perrin, 2002.

Collectif : « Les cathares » éd MSM, 2000.

Collectif : « Historiographie du catharisme » Cahiers de Fanjeaux n° 14, éd Privat, 1980.

Collectif : « Bernard Gui et son monde » Cahiers de Fanjeaux n° 17 éd Privat, 1984.

Collectif : « Effacement du catharisme ? (XIII-XIV s.) » Cahiers de Fanjeaux n° 20, 1985.

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27 mai 2014 2 27 /05 /mai /2014 17:53

Mise en situation : les délimitations géographiques.

 

     Pour mieux cerner la réalité de l’ « Eglise de Dieu », il est préférable d’envisager le territoire couvert par la langue occitane que d’évoquer le Languedoc qui ne comprend ni les domaines provençaux et gascons ni l’Agenais ni le Quercy. La diffusion du catharisme s’installe jusqu’à l’est du Rhône, alors qu’il est faiblement représenté entre la mer et Carcassonne, asent dans la plaine narbonnaise, absent aussi dans la plaine de l’Ariège en aval de Foix, inconnu dans l’entier domaine gascon. Il est, par contre, prépondérant dans le pays de Foix et des Fenouillèdes, dans l’Aveyron englobant le Razès et le bassin de l’Hers, le Lauragais, la Montagne Noire et l’Albigeois. Il est très implanté dans la rive droite moyenne de la Garonne jusqu’à l’Agenais remontant dans le Quercy jusqu’à hauteur de Gourdon. Au-delà, il est attesté en Périgord et au Saintonge.

 

        Il faut noter la discordance entre les limites ecclésiastiques et les limites politiques ; ainsi, sont cathares les parties de l’évêché de Narbonne qui sont dans la mouvance de la maison arago-catalane, celles de l’évêché de Toulouse qui dépendent des vicomtes de Béziers-Carcassonne ou des comtes de Foix. IMGP1022

 

      L’attitude de la population vis-à-vis de la religion est généralement teintée d’indifférence et d’ironie à l’égard des deux religions concurrentes, avec une sorte de tolérance : l’hérétique n’est pas perçu comme une provocation dirigée contre l’Eglise officielle mais comme une personne dont le comportement correspond étroitement à sa doctrine qu’il propage en utilisant la langue vernaculaire et dont les activités professionnelles sont à l’image de celles du peuple.

 

 Les premiers signes. 

 

    La première allusion à l’hérésie en Occitanie depuis l’existence d’un bûcher en 1022 est la tenue d’un Concile à Toulouse le 8 juillet 1119 par le pape Calixte II qui venait d’être élu. Le canon 3 dénonce « ceux qui affectant l’aspect d’un ordre religieux condamnent le sacrement du corps et du sang de Seigneur, le baptême des enfants, le sacerdoce et autres ordres ecclésiastiques et les liens des mariages légitimes, nous les repoussons hors de l’Eglise comme hérétiques, nous les condamnons et nous prescrivons aux pouvoirs séculiers de sévir contre eux. Nous englobons leurs défenseurs dans cette même condamnation ». Le canon de ce Concile sera recopié au Concile de Latran de 1139. La menace vient d’un courant anti-doctrinal et anti-sacramentaire qui paraît être dans ses thèmes essentiels la réplique de croyances apparues en Champagne et en Rhénanie. Avec Pierre de Bruis, curé dauphinois, qui rejetait le baptême des enfants, sous prétexte qu’ils n’ont ni foi ni raison ; il niait aussi l’Eucharistie et la messe et refusait toute valeur aux prières pour les morts. Il disait qu’il ne fallait pas adorer la croix puisqu’elle fut l’instrument du supplice et de la mort du Christ. Il s’élevait contre la construction d’églises puisque Dieu étant partout, n’avait pas besoin d’édifices particuliers pour être honoré. Chassé des évêchés alpins il vint dans la basse vallée du Rhône où le rejoignit Henri de Lausanne, moine apostat de l’ordre cistercien ; ils  passèrent dans la province narbonnaise. Pierre de Bruis fut arrêté et brûlé à Saint-Gilles aux environs de 1140. Henri de Lausanne prit sa succession.         Sans cesse expulsé et poursuivi, il finit à Toulouse où il put prêcher sa doctrine en toute tranquillité et réunir autour de lui des adeptes. Dans une lettre aux moines de Clairvaux (vers 1145), Geoffroy d’Auxerre écrit que les hérétiques avérés sont peu nombreux mais qu’un grand nombre d’habitants leur sont favorables y compris au sein des familles de notables : « Cette ville avait peu de gens favorables à l’hérétique : quelques-uns parmi les « tisserands » qu’eux appellent « Ariens ». Quant à ceux qui étaient favorables à cette hérésie-là, ils étaient très nombreux… ».

 

      La situation était telle que Bernard de Clairvaux décida de se rendre sur place avec l’évêque de Chartres et le légat Albert, cardinal-évêque d’Ostie, Il annonce sa visite au comte de Toulouse, Alphonse Jourdain. Venant de Bordeaux, il est à Albi le 25  juin 1145, où note Geoffroy d’Auxerre : « Les habitants de cette cité étaient plus que tous ceux des environs contaminés par l’hérésie à ce que nous apprîmes. C’est au point qu’ils sortirent au-devant de Monseigneur le légat, qui nous avait précédés de deux jours, avec des ânes et des tambours. Et quand on sonna les cloches pour convoquer les gens à la messe solennelle, il en vint à peine trente ».

 

    La situation était comparable en Agenais dont Hervé, un moine de Bourdieu, dénonce vers 1150 les hérétiques comparables aux manichéens par leur refus du mariage et de la viande.     En Périgord, un moine local, Erbert écrit : « … se sont élevés de nos jours dans notre région de très nombreux hérétiques  qui disent mener la vie apostolique ; ils ne mangent pas de viande, ne boivent du vin qu’un peu le mardi… Ils s’agenouillent cent fois…Ils n’adorent pas la croix ou la Face du Seigneur…  Ils ont attiré beaucoup de gens non seulement des laïcs qui abandonnent tout ce qu’ils ont mais aussi des clercs, des prêtres, des moines et des  moniales… Personne ne s’unit à eux, si rustre soit-il, qui ne devienne savant en huit jours en textes, en paroles et en exemples, au point de ne pouvoir être réfuté par personne, de quelque manière que ce soit… ».

 

Les réactions conciliaires.

 

     Déjà le Concile de Latran de 1119 comme celui de Toulouse la même année avaient condamné les «  Ariens » qui se développent au vu et au su de tous avec la protection de la noblesse locale et la bienveillance des autorités séculières, celle des bourgs fortifiés de l’Albigeois et du Toulousain. Ils peuvent prêcher en toute impunité et sûreté sur les routes du pays d’oc, se rassembler dans leurs maisons-ateliers ouvertes à tous ou même confronter publiquement leurs thèses et interprétations du Nouveau Testament avec celles de l’orthodoxie. En 1148, se tint à Reims un premier concile où, présidé par le pape Eugène III, ancien cistercien, furent condamnés les hérétiques et leurs protecteurs « dans les pays de Gascogne et de Provence » et jeté l’interdit sur leurs biens. Dans la même ville, en 1157, un second Concile condamna la « très impure secte des Manichéens » et « les très abjects Tisserands » qui oeuvraient sur l’Europe Occidentale. Le Concile de Tours en 1163, présidé par Alexandre III, précise « l’hérésie condamnable qui a surgi il y a longtemps dans le pays de Toulouse, et qui peu à peu s’est diffusée à la manière d’une gangrène par la Gascogne et autres provinces, infectant beaucoup de personnes ».

 

    En 1165, à Lombers, dans l’Albigeois, se tint un débat théologique entre Sicard Cellier, évêque cathare de l’Albigeois et des  prélats de l’Eglise, Pons d’Assas, archevêque de Narbonne, les évêques de Nîmes, Agde, Lodève, Albi et Toulouse, les abbés de Castres, Ardourel, Candeil, Saint-Pons, Cendras, Fontfroide et Gaillac, prévôts des cathédrales de Toulouse et d’Albi, archidiacres de Narbonne et d’Agde, prieurs de Notre-Dame de Montpellier et de Celleneuve, des clercs. Y assistaient aussi  Raymond de Trencavel, vicomte d’Albi-Nîmes-Carcassonne, Constance fille du roi de France et épouse de Raimond V, comte de Toulouse, et le vicomte Sicard de Lautrec. L’évêque de Lodève énuméra six chefs d’accusation (sur les textes sacrés, sur le baptême des enfants, sur l’Eucharistie, sur le mariage, et sur la pénitence) auxquels ils ne répondirent que sur la référence au Nouveau Testament, les épîtres de Paul et les sept épîtres catholiques, les Actes des Apôtres et l’Apocalypse ; ils refusèrent de parler de leur foi, du baptême, du mariage mais  évoquèrent l’interdiction de jurer en reprenant des paroles du Christ, l’ordination selon les prescriptions de Paul dans sa première épître. Guillaume de Puylaurens retrace dans sa « Chronique » : « Les hérétiques déclarèrent,  tournés vers la foule, nous croyons un seul Dieu vivant et vrai, trinité et un, Père, Fils et Esprit-Saint. Le Fils de Dieu a pris chair, a été baptisé dans le Jourdain, a jeûné dans le désert, a prêché notre salut, a souffert, est mort, a été enseveli, est descendu aux enfers, est ressuscité le troisième jour, est monté aux cieux, a envoyé aux disciples l’Esprit Paraclet à la Pentecôte. Il viendra au jour du Jugement juger les vivants et les morts et tous ressusciteront ».

 

     Interrogée par l’évêque de Lodève pour jurer que telle était bien leur foi, la délégation cathare s’y refuse. L’évêque lit la sentence qui les condamne solennellement en tant qu’hérétiques et les désigne de « Bons-Hommes » et leur promet de porter cette accusation devant la cour de Rome et la cour de France.

 

Le Concile de Saint-Félix.

 

    En mai 1167, à Saint-Félix-Lauragais, se tient une grande assemblée cathare, présidée par un dignitaire oriental, Nicetas, évêque hérétique de Constantinople. Y assistent Robert d’Epernon, évêque de l’Eglise de France, Marc, évêque de Lombardie, Sicard Cellerier, évêque d’Albi, Bernard Cathala de Carcassonne, accompagnés chacun de leurs conseils, des membres des églises de Toulouse, de Carcassonne et d’Albi. Nicetas renouvelle le consolament à tous les parfaits présents et désigne et ordonne Bernard-Raymond  évêque de Toulouse, Guiraud Mercier, évêque de Carcassonne et Raymond de Casalis, évêque d’Agen. Lors de cette réunion sont clairement définies, par une charte, les bornages, les délimitations entre  les évêchés de Toulouse et de Carcassonne puis Nicétas invite les quatre Eglises du Languedoc à vivre en harmonie.

 

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